Yves Gaudin, l’arracheur de langues suisse
(PAR LE POINT)
Yves Gaudin, chroniqueur à L’1Dex et à L’1Dex Mag, est, pour l’hebdomadaire Le Point, l’arracheur de langues suisse
Avec son intrigue de macchabées empoisonnés et à la langue sectionnée, « En vérité », le polar du romancier helvète, dissèque l’amour véritable et la mort.
Par Julie Malaure
« C’est peut-être ce qu’on cherche dans la vie, à voir jusqu’où on peut être salaud pour savoir enfin qui on est. » Il a beau se persuader du contraire, avec sa métaphysique de loser, Émile Blanchard, le narrateur, n’est pas un sale type. Lâche, suicidaire, en revanche, oui. Cet ex-flic traverse la route sans regarder tous les matins dans l’espoir qu’une voiture raccourcisse sa peine. L’affaire qui marque la fin de sa carrière a été dure. Trois cadavres empoisonnés, trois langues sectionnées avec les dents – « la morsure du diable », bégaie le légiste. Les trois victimes étaient scientifiques – comme l’auteur, docteur en psychopathologie clinique, les trois ont péri en plein coït… Et, comme si la mort appelait la mort, Émile s’y met à son tour. Pas au coït, mais à tuer. On voudrait que ce soit un burn-out de policier, mais c’est bien plus profond que cla. Le roman sur l’amour et la mort de ce Suisse du Valais inconnu chez nous est court, différent, percutant. Plein de petites phrases tombées du ciel, que l’on griffonne dans les coins comme des maximes pour plus tard. Preuve qu’il y a vraiment du génie dans les alpages.
En vérité, d’Yves Gaudin, éd. Héloïse d’Ormesson, 176 pages, 16 euros.
L’extrait qui tue
Je suis lieutenant de police. Enfin, j’étais. Ça ne fait pas un homme. Tant pis. À l’examen d’entrée, on m’a demandé combien faisaient deux et deux. J’ai répondu Prévert. On m’a donné un coup de pied au cul. C’était l’époque. J’ai quand même gradé. L’obstination, ça mène à tout, on ne peut pas dire le contraire. J’en ai arrêté des crapules, et des fameuses en plus. La bande à Despond, ceux du braquage d’Évreux, les Bender et les autres, c’était moi. Le David, avec sa chignole, pas du chiqué, ça tirait dans tous les sens. On m’a vite muté. Quai des Orfèvres, c’est là que ça se passe. Pas besoin de képi, c’est de l’action qu’on veut. Ils n’avaient que ça en bouche, le commissaire, le préfet, le ministre. Des résultats, ils en ont eu. Et pas qu’un peu. Par-devant, je ne leur ai jamais tiré dessus. Dans leur dos, je ne dis pas. Ce fut mon grand orage. Le jour de mon départ, on m’a bien regardé. Et puis oublie, ils n’ont rien compris. Je n’ai même pas reçu de montre. D’habitude, ils en donnent, pas du toc, presque du suisse. Mais là, un coup de balai. Zou ! Faut pas que ça reste. Les cocoricos, les flonflons, la rosette, ça sera pour une autre fois.
Maintenant, je suis vieux. La mémoire en passoire, les bras comme des nouilles, à trembler de misère, mes chagnottes dans un bocal, mes pantalons souillés. La révolution, il y en a qui ont essayé, ça sera sans moi. C’est bientôt mon tour. Je n’aime pas le béton. Quand j’étais petit, on pouvait se baigner dans la Seine, manger un fruit sur un arbre, c’était bien. Aujourd’hui, c’est foutu, c’est gâté, plus moyen. Au troisième vit une femme. Une acariâtre. Je lui joue des tours. La chambre à lessive, c’est le cirque Barnum, ça passe le temps. Devant la porte, elle met ses chaussures. Elle les retrouve à tous les étages. Déglingué, qu’elle me dit. Parfois, je lui téléphone au milieu de la nuit, juste pour une voix. Et puis je raccroche. On y passera tous.
Je me souviens d’un taxi. C’est là que tout a commencé. On m’avait dit c’est facile, pas de soucis, ils sont réglo, des pauvres, je ne dis pas, toujours à s’en faire avec eux, toujours une main qui traîne, mais des riches, pas misérables du tout, collets montés et casiers vierges, il ne peut rien t’arriver. Mais voilà ! Ils m’ont fait le coup du père François ! Au placard ! Au rebut ! Il n’y a pas de coupables. Que des naïfs. On ne peut rien y faire. Mes lèvres se mêleront bientôt à la terre. De la gélatine dans la boîte à cigares. C’est tout moi. Dans ma bouche, pas de regrets. Ma sève, c’est mon venin. Je n’ai pas à me plaindre. Je préfère ça à la maison de fous. Ça s’encule bien entre malades. Faut le savoir. Tout le reste n’est que littérature.
En vérité, en vérité, je vous le dis, voici toute l’histoire.
J’ai hâte de vous lire!
Je suis en train de lire David Bosc, Relever les déluges, avec les notes incluses. Un peu de Promenade et guerre, de Cédric Demangeot, comme je peux. Je vais essayer de lire entiérement au cours de l’année Il faut un frére cruel au langage, aussi de Bosc. La claire fontaine, comme je peux. Et j’aurais préféré Baudelaire heureux de Béatrice Rian.