RAW SHOTS #1 – GASPAR ET PRESENTATION DU PROJET

(PAR LUCA GILLIOZ)

 

PRESENTATION DU PROJET

« Raw shots » Le nom de ce projet me vient de ce qu’est une image RAW en photographie : une photo de ce format est un cliché brut, sans retouche ni couleurs modifiées. Cela caractérisera le ton des 4 vidéos de cette mini-série ; des vidéos amateurs, sans portée morale ni politique, ayantpour but d’aller au plus proche du quotidien de ceux que j’ai rencontré sur le chemin de mes voyages, au cours de l’année 2019. Offrant plusieurs perspectives sur des individus différent, l’objectif était de focaliser notre regard sur la diversité des quotidiens, mais surtout d’y retrouver des convergences de points de vue, afin de pointer du doigt une forme d’universalité dans le particulier, qui transcenderait les cultures.

 

En tout cas, tout cela était mon but avant de commencer mon périple ; le projet se heurta à la réalité du terrain. Dans ce premier article, j’exposerai premièrement les principaux obstacles rencontrés ; quelques mots seront, du reste, consacrés aux personnes qui auraient méritées, elles aussi, une vidéo. Ensuite, un court paragraphe mettra en contexte la première vidéo de la série, sur Gaspar, migrant Guinéen.

Contraintes

La difficulté vint d’abord du format même de la vidéo d’interview. Dans beaucoup de cas, les personnes intéressantes que je rencontrais étaient intimidées de se faire filmer, et si elles acceptaient, il était difficile d’avoir d’elles un ressentinaturel. Ainsi, c’est pour cette raison que je n’ai pas eu d’image de Pablo, sexagénaire rencontré un soir sur les escaliers de la Cathédrale de Salamanca. Il se trouva qu’il était ancien prof de philosophie dans l’université de la ville, et qu’il avait tout plaqué pour jouer de la musique dans la rue, toute la journée, au même endroit. Le personnage était étonnant, et méritait le portrait vidéo que je lui proposai ; mais lui ne voulait pas.

 

Une autre difficulté vint du fait que le format de vidéo en lui-même ne permettait pas de peindre la complexité de certains individus, d’autant plus que je ne souhaitais pas dépasser les 10 minutes de vidéo. C’était le cas de Nina, 22 ans, première personne que j’ai rencontrée à Lyon ; elle me disait être tiraillée entre l’angoisse de son futur incertain et l’ennui de la monotonie de son quotidien. Son discours cristallisait selon moi la multitude de considérations existentielles qui advienne à notre génération. Mais là encore, les images recueillies ne montrent pas la complexité de la personne. Enfin, une autre personne interviewée vient faire écho à ce problème de la limite du format : c’est Dominik. Je rencontrai ce soixantenaire à la parole facile lors d’un volontariat dans une école, à Taroudant, au sud du Maroc ; lui avait lâché la plupart de ses attaches en France pour se battre contre les abus sur les enfants. Il avait en effet engagé des poursuites contre un orphelinat au Cambodge où il avait surpris un gardien attoucher un des jeunes dans un dortoir. Sa personnalité était intéressante, car ambivalente : il se montrait souvent incohérent à ce qu’il prêchait, surtout quand il s’agissait de punir lourdement les enfants qui ne suivaient pas ses cours (son autorité était inexistante). Il critiquait souvent les perversions de l’ego, et était pourtant convaincu qu’il était lui-même un de ces sages appartenant à la lignée du Christ, de Bouddha et de Mahomet. Malheureusement, les images recueillies de ses témoignages, et les vidéos de ses cours n’étaient, là encore, pas assez complètes pour montrer la complexité du personnage.

 

 

Une dernière difficulté est à mentionner, même si elle est d’ordre anecdotique ; je parle là de mon amateurisme en la matière de production de vidéo. J’ai bien sûr pris le temps de me former brièvement à la production et au tournage de celles-ci, avant de m’engager sur ce projet. Mais certaines erreurs stupides se révélèrent fatales sur le terrain. L’anecdote à rappeler est celle de ma rencontre avec l’évêque-chef de la paroisse de Lourdes, en France. D’emblée très ouvert, il se livra à des confessions intimes ; il me conta ses moments de doute avec la religion, et sa volonté sporadique de quitter ses fonctions. Le captage s’arrêta malheureusement au début de son explication, faute de place sur la carte mémoire…

 

Ces difficultés considérées, j’ai décidé d’adapter le projet à un format plus simple, et plus accessible à l’approche amateur qui est la mienne. C’est donc naturellement que mon choix de fil rouge de vidéo se soit tourné vers le thème, peut-être plus banal, de l’infortune. Ce thème-là renforce selon moi le caractère ‘’cru’’ que j’ai voulu donner aux vidéos, en restant toutefois dans la perspective amorale et apolitique que je vise.

 

Rabat le 5 décembre 2018

Gaspar est en exil depuis 4 ans, et a quitté la Guinée Conakry à ses 15 ans ‘’pour un avenir meilleur en Europe’’. C’est le court témoignage d’un migrant, appartenant malgré lui à cette masse informe dont on voit plus souvent la foule que les visages. Ce portrait m’est spécialement proche, car il se trouvait que Gaspar était à quelques jours près mon exact contemporain, et allait fêter ses 20 ans quelques jours plus tard, le 6 janvier 2019.

 

Dans cette vidéo, il nous raconte son itinéraire qui l’a amené jusqu’au Maroc, sa tentative de rejoindre l’Italie en bateau depuis la Lybie, et sa fuite des rebelles Lybiens, qui l’avaient emprisonné pour lui demander des rançons. Aujourd’hui au Maroc, ses problèmes ne sont pas finis : entre précarité et racisme (voir à la minute 7 de la vidéo, où des enfants lui jettent des petits cailloux, alors qu’il me parle), Gaspar garde l’espoir inflexible de gagner l’Europe, par le détroit de Gibraltar.

7 pensées sur “RAW SHOTS #1 – GASPAR ET PRESENTATION DU PROJET

  • 31 janvier 2020 à 23 h 54 min
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    Vraiment intéressant comme démarche!

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  • 1 février 2020 à 19 h 33 min
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    Superbe parcours cest important de le faire savoir.
    Ont vient tous de quelque part part…
    Dimoh

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  • 2 février 2020 à 11 h 52 min
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     » Des vidėos amateurs, sans portėe morale ni politique  »

    Des mots qui expriment bien le malaise profond des sciences humaines, dans ce cas-ci l’ethnologie plus concrètement. Bref, un problème abyssale d’objectivation du chercheur et son milieu universitaire très à gauche moralement et politiquement, personne ne devrait le nier, tellement c’est ėvident et ridicule. Ce qui se ressent de manière cocasse dans le montage de cet article. La loi de l’universitė stipule de dėvelopper un esprit critique, l’autocritique en fait partie mais aussi la critique du discours de l’interviewė : influence des mėdias, institutions, ONG, ethnologue de gauche : on n’est pas forcėment renseigné sur l’approche du voyageur en question et ses discussions prėalables. Ensuite, dans ce cas-ci : une enquête plus approndie sur l’âge de Gaspar et les raisons de cet ėventuel mensonge serait plus pertinent. Après il y a aussi des ėlėments souvent peu dėvellopės par nos ethnologues en herbe et professeurs mais qui pourtant ressortent frėquemment dans les données : des conditions prėcaires dans les colonies occidentales diffusant un monde contemporain avec ses salaires minables, une globalisation de l’ėducation dėtournant l’agriculteur du champ, de sa famille etc.
    Et malgrė une hybridation souvent imposėe de leur culture, il est remarquable de relever cette recherche immuable de leurs racines. Ce que l’on pourrait relever dans une approche musicologique de la vidéo en question. Malheureusement ces racines ou roots en anglais sont très mėprisėes par les intellectuels de gauche à l’université représentant avec plaisir une ELITE TRANSNATIONALE avec des valeurs radicalement opposėes. Malheureusement au-delà des graves problèmes de domination et de dėmocratie, ce contexte d’ėlite transnationale prėtėrique l’analyse du savant qui devient aveugle ou dans le dėni de l’essentiel des donnėes. L’approche inductive ou enracinėe, chère à l’ethnologie, a connu des jours bien meilleurs, à l’ėpoque où le calepin et le crayon de papier suffisait. La durėe de l’immersion est aussi importante. Le picorage, cherry picking d’un routard en vadrouille n’a pas la même valeur que les donnėes d’un chercheur sur le terrain depuis plusieurs mois/annėes.

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    • 2 février 2020 à 15 h 33 min
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      Monsieur Rey,

      Merci pour vos critiques sur cette vidéo; j’en partage quelques unes.
      Je trouve votre commentaire intéressant (quoiqu’un peu confus), je le trouverais même presque approprié s’il s’agissait ici d’un travail de recherche universitaire d’ethnologie; or ce n’en est pas un.
      Cette vidéo n’a ni sa place dans un mémoire de master, ni d’ambition scientifique/sociologique, ni même valeur  »d’argument »; heureusement, d’ailleurs, qu’une vidéo de 7 min 47 n’a pas la prétention de retranscrire la complexité de la problématique migratoire des dernières années ! Pour calmer votre amertume, dites-vous que c’est un essai journalistique.

      Le but premier du projet, je croyais l’avoir précisé, se voulait plutôt être un exercice de décentrement, la tentative de relativiser mon quotidien (que je crois privilégié), avec un quotidien différent, celui d’individus dont on entend parler, mais que l’on entend pas parler. Peu importe l’échiquier politique, les procès d’intentions, la volonté ici est de ramener une parole  »brute », par son altérité.

      Ainsi, disserter sur l’évolution de l’ethnologie, critiquer les médias actuels, ou encore fantasmer sur la relève communiste des chercheurs universitaires… Tout ces sujets intéressants n’ont pas, je crois, leur place ici. Enfin, il est malheureux de constater que l’animosité que votre ton insinue nuise à la crédibilité de vos propos, qui je le pense, sont intelligents.

      Là où je suis fondamentalement d’accord avec le commentaire, c’est qu’une immersion plus longue m’aurait permis de nuancer, d’approfondir ; mais ce projet-ci se voulait concis, et le format, court. Ma foi, ce sera pour un projet futur, peut-être!

      J’espère ne pas vous avoir dégoûté de ce projet, et que vous regarderez les prochaines vidéos.
      A bientôt !
      Luca

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      • 3 février 2020 à 8 h 07 min
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        Débat intéressant.
        Quelques infos numérotées mise en débat

        1 / Les jeunes ne peuvent pas connaître que les cabinets médicaux étaient autrefois fermés le jeudi après-midi. L’immense majorité des médecins se rencontraient sans chichis, toutes disciplines confondues, dans les espaces de formation sponsorisés qu’ils souhaitaient. Idem pour les participations aux congrès.

        2/ Cpl fusilier de montagne devenu médecin de compagnie, lors d’un cours de répèt d’hiver au col du Simplon dans les années 70, chaudement installé à l’hôtel, j’avais lu et apprécié la pertinence de LES CALL-GIRLS d’ ARTHUR KOESTLER.

        Il ne faut pas se méprendre sur le titre de ce roman : les Call-girls de Koestler sont tout à fait fréquentables. Par cette métaphore, Koestler désigne les sommités universitaires et autres éminents spécialistes qui, toute l’année durant, parcourent le monde de séminaires en congrès. …avec les mêmes ritournelles irréelles, auto validées entre perroquets.

        3/ J’ai décortiqué dans le Patatras 84, le discours boursouflé des sciences de l’éducation qui peut s’appliquer aux « Sciences humaines », telles que l’ethnologie.
        Dérapages : l’idéologie des genres est soutenue par l’ONU, les Drs Kinsey et Jaffé, pas docteurs en médecine, s’étaient intéressés au début de leur carrière aux prisons américaines, dérapages ci-dessous ?

        4/ Peut-on douter de l’absurdité totale de favoriser la multiplication d’enfants sans père ou sans mère, comme l’a prédit le médecin Ansermet dans Le Nouvelliste ? Sans que ne s’y opposent nos Onusiens et le PDC jusqu’à Brig ?

        5/ Pourrais-je encore le dire, si les gens votent oui à Mathias Reynard le 9 février ?
        A ses côtés dans Le Nouvelliste, une jeune psychologue se présentant à l’identité fluide.
        Oui, « iel » affirme que les homosexuels ne souffrent pas de leur état, mais d’être agressés.
        Je pense le contraire, par expérience professionnelle, ai des amis homosexuels et n’ai jamais vu d’agressions.

        5/ Madame Logean, dans son émission sur les transgenres de Mise au Point, ne m’a jamais répondu. On y voyait le pédopsychiatre souriant, occultant totalement le conflit parental, et le pédiatre affirmant avec conviction que le genre est fixé à 8 ans, de façon définitive.
        Des coûts très élevés pris en charge par les caisses maladie. A entendre le pédiatre, serait-ce l’AI ?

        6/ je profite du temps qui est m’est encore donné pour dire quelques vérités.
        A Matthias, qui rejoint les célébrités à l’ONU et défend toute les causes : à quand les médecins attaqués, parce qu’ils conseillent aux obèses de perdre du poids ?

        7/ pardonnez-moi d’écrire crûment.

        L’animateur officiel de France Inter a chanté à France Inter : « Jésus est pédé, membre de la LGBT, du haut de la Croix. pourquoi l’avoir cloué, pourquoi l’avoir pas enculé ?».

        L’Article 261 Atteinte à la liberté de croyance et des cultes est évidente.

        Aucune réaction des médias.

        Alors prudence, avant de rejoindre le monde de Staline chéri à l’époque par la gauche, où même parler modérément était interdit.
        Je voterai NON le 9 février.

        Et Call-girls d’Arthur Koestler est une bonne lecture.

        Pierre Hervé Tavelli, Sierre

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      • 6 février 2020 à 13 h 00 min
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        @ Gillioz
        Il me paraît clair que le journalisme fait usage d’arguments, fait appel à la sėlection et mise en saillance de certains sujets avec une subtile maîtrise de l’agenda. (Mc Comb) Tous ces choses qui participent à la persuasion sont souvent bien plus efficaces avec le discours
        de journaliste que la prose du scientifique. Je me suis permis un piqûre de rappel pour ėvoquer la propagande actuelle sur le sujet migratoire. Les mėdias de masse ont des effets forts (Ecole de Francfort d’Adorno et Horkheimer) et une aliėnation guête toujours même (si ce n’est pas surtout) les plus instruits.
        Ceci dit, c’est peut être parce que j’apprėcie vos talents d’ethnologue que je procède à cette mise en garde. Les deux derniers dossiers me paraissent plus dėveloppės : très intėressant cette mise en abyme de l’informatisation et ses problèmes sociaux/ ėcologiques. J’ai ėtudiė en master l’arnaque de la solution suivante au rėchauffement climatique : ėconomiser de l’ėlectricitė avec un smartmeter (compteur ėlectrique intelligent imposė aux mėnages suisses) qui fait la part belle au Big Data et à la spėculation financière du marchė mondial de l’ėlectricitė. Tout ceci avec des ordinateurs en masse, avec ces centre de serveurs (Data center) à refroidir. Bref, un monde du Big Data peu ėcologique et peu social car prêt à tout pour baisser les coûts et ainsi concurrencer au maximum le releveur, le contrôleur de train, la caissière etc. etc.

        Bonne continuation

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  • 2 février 2020 à 20 h 56 min
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    Bravooo Luca ! Très intéressant et très beau projet.

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