Raconte-nous, Ursina, ta décision de te mettre à la « FATable » et de faire la foire ?

(PAR SEVE FAVRE)

 

Ursina Gabriela Roesch est une artiste et curatrice originaire de Zürich. En 2016, elle fonde avec Mark Damon Harvey le mouvement Femme Artiste Table qui donnera naissance en 2018 à la première foire pour femmes-artistes de Suisse. Très engagée dans la défense des femmes-artistes, ayant au cours de sa carrière vécu des expériences qui l’ont motivées à défendre leur statut, elle espère que le plus grand nombre possible de personnes seront inspirées par son travail et celui du FAT. La prochaine foire se tiendra du 11 au 20 septembre à Schaffouse au Kammgarn West. Avis aux artistes, les inscriptions sont encore ouvertes!

Quels sont les éléments ont motivé la création de FATart Fair?

 

À la base, il y a tout d’abord le constat d’une vraie sous-représentation féminine aux divers échelons du monde artistique et culturel, ce qui induit une non-reconnaissance du public. D’ailleurs, parmi vos lecteurs, combien seraient capables de nommer cinq femmes artistes ?

Ma motivation de départ est donc de contrecarrer ces droits inégaux qui menacent ma survie d’artiste et celle de mes pairs. Je m’intéresse aussi plus largement à l’art féminin. Je veux voir, comprendre comment ces artistes vivent, créent, voient le monde, connaître leurs interrogations, réponses, obsessions etc…

L’idée de monter une foire d’art pour artistes découle de diverses expériences internationales, notamment en Allemagne ou en Angleterre. Par curiosité, un an auparavant, j’avais exposé lors d’une foire de ce type à Munich par curiosité afin de connaître ce format. À la suite de cela, j’ai vraiment pensé que ce serait intéressant de faire de même en Suisse. Bien sûr, ce n’était pas simple à organiser. J’étais parfois épouvantée par l’ampleur du travail, mais le challenge d’organiser un tel événement l’a finalement emporté. Aujourd’hui, c’est une fierté de pouvoir proposer la 3ème édition en septembre 2020 et de la voir se pérenniser.

La Foire FATart permet aux artistes de représenter elle-même leur travail. Elle contribue uniquement aux frais de location calculé en fonction du nombre de mètres linéaires souhaité pour exposer leurs travaux (de 1m-10m). Pour être honnête, nous devrions facturer le double, voir même le triple, pour nous en sortir et tenter nous payer un salaire raisonnable. C’est pourquoi la recherche de soutien est importante. Avis aux intéressés !

 

Cette foire est également liée à l’association Femme Artist Table (FAT). Pouvez-vous nous expliquer comment l’association s’organise afin de « taper le poing sur le table » pour défendre les femmes artistes ?

 

Le FAT (Femme Artist Table) est un réseau de femmes-artistes, productrices et historiennes de l’art qui s’engagent pour la promotion de l’art des femmes et de tous les groupes marginalisés par le genre ou la diversité. Il existe différentes sections et évènements reliés à l’association comme FATrendez-vous ou FATkükü etc… Des initiatives du FAT visent également les relations publiques ou la recherche (historique, statistique…). Nous envoyons régulièrement des bulletins d’informations sur la situation des femmes-artistes dans la société et le marché de l’art. Nous mettons aussi en avant spécifiquement en lumière l’art féminin.

 

Chaque moi en fin de journée, le FAT organise une réunion – accompagnée d’une bonne bière – au Kosmos Buchsalon à Zurich. Les femmes artistes de toute la Suisse et de l’étranger peuvent s’y rencontrer pour échanger des idées, sortir de leur atelier, faire entendre leur voix et se mettre en réseau. En tant que « Gesamtkunstwerk », ce réseau protège et promeut en créant une solidarité dans le domaine de l’art et de la conservation. La foire FATart reste cependant le plus grand événement du mouvement, le point d’orgue de l’année.

En résumé, Le FAT est une volonté d’actions pour les femmes dans le monde de l’art. Indépendantes, autodéterminées, féministes et coopératives, les femmes du FAT s’assoient à table des négociations et des processus décisionnels.

Notre but est créer un grand réseau international afin de promouvoir les femmes-artistes, historiennes de l’art et conservatrices. Un réseau où elles peuvent être actives et soutenues.

 

Pourquoi avoir choisi Schaffhouse pour implanter la foire?

 

Dès le départ, le lancement simultané du FAT à Zurich et de la foire à Schaffhouse fût une bonne decision. Le projet repose ainsi sur deux piliers différents et une implantation géographique maximisée.

J’avais entendu qu’à Schaffhouse il était possible de louer temporairement un grand et bel espace (1600m2) au Kammgarn West. C’est vrai que la taille est conséquente mais je ne pouvais pas manquer ces locaux, ces espaces si grands et si uniques alors j’ai osé ! Oser est d’ailleurs un élément d’autant plus nécessaire pour les artistes et encore plus pour les femmes artistes qui sont souvent trop timorées. Mon cœur d’artiste battait fort !!!  C’était écrire un nouveau chapitre de l’histoire de l’art féminin, et comme Schaffhouse est une ville frontalière, elle ouvre les portes de l’espace européen. De plus, cette ville  permet vraiment l’implantation de projets innovants. C’est un terrain plus libre et ouvert à de nouvelles idées.

 

En 3 ans d’existence, comment les choses ont-elles évolués pour FATart Fair ?

 

Il est temps de devenir “ FAT” autrement dit prendre du poids, de la valeur. C’est un slogan qui compte! Nous sommes très heureux du développement. C’est un projet actif et pro-actif .

Depuis 2016, nous avons offert une plateforme unique à 170 femmes-artistes. Nous exposons des œuvres d’art réalisées aussi bien par des artistes souffrant d’un handicap ou issues de l’immigration  que par des artistes renommées de Suisse, d’Europe, d’Amérique du Sud et d’Afrique.

C’est un travail difficile et intense. Heureusement, nous avons, Mark et moi, une bonne équipe à nos côtés.

Les inscriptions pour la foire de septembre sont ouvertes en cette période de confinement. Est-ce que vous avez prévu quelque chose de particulier pour vous adapter à cet imprévu ?

 

Oui, absolument. Nous avons lancé un appel pour une section thématique liée au confinement afin d’exposer en septembre ce qui est créé explicitement maintenant. Avoir une section thématique est une première pour la foire FATart, mais il nous paraissait important de montrer, documenter ce temps nouveau et particulier. L’interaction avec le public est importante pour les artistes et pour le développement d’une œuvre artistique. Chaque échange enrichit. Une œuvre doit être au milieu des gens, tout comme les gens eux-mêmes. Nous sommes des êtres sociaux, les œuvres d’art le reflètent.

Ce qui nous arrive, en ce moment, collectivement et individuellement est encore difficilement évaluable. Il est donc d’autant plus important de rendre visible l’art et la culture des femmes. Elles y réfléchissent. N’oublions pas que ce que nous vivons ici et maintenant en quarantaine, beaucoup de femmes le vivent de manière permanente sur notre planète! Il existe un large éventail de mécanismes d’isolement dans notre société. Nous pouvons le questionner à travers l’art et ainsi y réfléchir.

 

Comment voyez-vous la situation des femmes-artistes durant le confinement ?

 

Nous ne le savons pas encore. Mais comme je l’ai dit, il faut garder à l’esprit que la quarantaine pour beaucoup de femmes en Suisse, c’ est TOUS LES JOURS, surtout avec des enfants! Nous sommes un pays très conservateur. Cependant, il est probable qu’avec le confinement les femmes-artistes soient dans une mauvaise passe, car elles ne peuvent pas utiliser tout le potentiel dont elles disposent. Les incertitudes pour l’avenir sont amplifiées.

Je pense que nous verrons à la FATart Fair lors de l’exposition  » Covid 19” ce que tout cela signifie pour les artistes, pour et dans leurs créations. Cet espace thématique les met au défi de montrer aussi des idées sommaires ou fragmentaires.  Certaines voudront sans doute proposer quelque chose de nouveau, ne pas montrer l’ancien, réinventer la vie. Nous avons suffisament d’espace pour les œuvres en trois dimensions comme pour les oeuvres en deux dimensions. Nous attendons donc avec impatience les gestes des artistes connues et moins connues.

De manière plus générale, quelle est votre appréciation de la situation des artistes femmes en Suisse ?

 

C’est difficile pour elles. Il y a seulement quelques artistes féminines reconnues. Nous sommes encore loin de l’égalité des droits.

Au sein du FAT, nous avons un groupe d’experts qui attire constamment l’attention sur les abus et qui tâche de prendre des contre-mesures. Mais il s’agit aussi de la répartition de l’argent public ou privé, des prix d’art…

La valeur sur le le marché de l’art des femmes-artistes est aujourd’hui sous-évaluée et surtout injuste. C’est justement une de mes chevaux de bataille! Il faut rebattre les cartes, encourager l’investissement public et convaincre le secteur privé, les entreprises de coopérer avec le FAT. C’est maintenant un de mes objectifs, car les inégalités sont aussi visibles financièrement. D’ailleurs , la représentation en galerie est aussi très déséquilibrée.

Les collections privées, les musées et les institutions cuturelles n’ont commencé que récemment à montrer l’art produit par des femmes. Bien que de plus en plus de femmes travaillent dans l’industrie culturelle, le système reste encore très patriarcal. Durant les dix dernières années, les statistiques ont montré que seulement 26% des expositions individuelles étaient consacrées à des artistes femmes dans les musées suisses. Certaines institutions, et non des moindres, n’en ont même jamais exposées.

Historiquement, nous ne savons pas encore ce que signifie réellement l’art des femmes. Depuis très longtemps, trop longtemps, la société leur a mis des bâtons dans les roues. Il y a beaucoup d’exemples historiques pour illustrer cela. Cependant, il y a beaucoup de très bonnes et talentueuses femmes-artistes et nous voulons les faire resurgir et les intégrer à l’histoire. Avec l’association, nous faisons aussi office d’explorateurs. En effet, l’histoire de l’art doit être réécrite, car les artistes féminines qui existaient/existent n’arrivent presque jamais à obtenir une reconnaissance. Nous les découvre ou redécouvrons que lentement; mais nous, au FAT, nous voulons écrire l’histoire!

 

https://www.fatart.ch/

http://femmeartisttable.blogspot.com/

Une pensée sur “Raconte-nous, Ursina, ta décision de te mettre à la « FATable » et de faire la foire ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.