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Pologne. Le temps des voyous


Il est soupçonné de proxénétisme, il est accusé d’abus de faiblesse. Il a fricoté avec la pègre, joué des poings avec les hooligans, exhibé ses tatouages belliqueux. Il sniffe, aux yeux de tout le monde, une mystérieuse substance qui donne de l’énergie dans les débats publics. Voilà Karol Nawrocki propulsé président de la Pologne.

Le parcours idéal en quelque sorte à l’ère du populisme. Son adversaire, Rafal Trzaskowski, maire apprécié de Varsovie, paraissait trop gentil, trop intellectuel. Sa connaissance des langues, ses études, sa bienveillance même, étaient suspectes, signes probables de faiblesse. Il ne pratique pas la boxe.

Les Polonais ont choisi la brute contre le doux, le boxeur contre le mélomane. Le choix d’un homme fort qui va les protéger de toutes les menaces, possibles ou imaginaires, peu importe, toutes les menaces, l’immigration, la concurrence des réfugiés ukrainiens, les épidémies, la guerre, l’écologie, le wokisme, l’Europe trop maîtresse, la perte des traditions. L’extrême-droite s’est ralliée avec plaisir. L’Église aussi, ce qui en dit long sur la déliquescence morale du clergé polonais. Comme si les mauvaises odeurs refluaient soudain malgré tous les efforts des derniers mois. La Pologne était réconciliée avec l’Union européenne, débarrassée de l’emprise illibérale, elle voit son avenir à nouveau menacé par les forces mauvaises.

La carte des résultats présente une étonnante ligne de démarcation entre l’Est, favorable à Karol Nawrocki et l’Ouest, horrifié par le personnage. L’économie va bien, l’inflation n’est pas alarmante, les salaires confortables, les retraites sont largement indexées, alors on s’interroge, on se perd en conjectures. L’analyse des résultats révèle que les grandes villes, les citoyens les mieux formés, ont majoritairement voté Trzaskowski. Plus on va à l’Est ou en hauteur, dans les plaines agricoles ou les montagnes, on rejette le « sachant » de Varsovie. Les femmes ont plutôt voté Trzaskowski, les hommes, Nawrocki.

Rejet des élites, besoin de revanche, repli nationaliste, peurs irrépressibles, promesses flatteuses, annonce d’un âge d’or, le cocktail proposé n’est pas propre à la Pologne. Qu’il ait produit l’ivresse des foules au cœur de l’Europe inquiète et nous remplit d’effroi.

Les illibéraux en embuscade

La Pologne joue un rôle décisif dans le soutien à l’Ukraine. L’aide internationale transite sur son territoire. Elle accueille plus d’un million de réfugiés. Elle équipe son armée et est en passe de devenir la puissance militaire de l’Union. Mais le nouveau président s’oppose, par exemple, à l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN et même dans l’Union européenne. Il ne peut pas démanteler ce qui a été fait, mais il a le pouvoir de bloquer les décisions du gouvernement de Donald Tusk et il pourrait le pousser à démissionner, provoquant de nouvelles élections législatives dont le résultat serait incertain. Le parti « Droit et justice », PIS, jouit de la victoire de son protégé, il espère désormais un retour aux affaires.

L’éditorialiste et professeur de droit, Wojciech Sadurski, incite les démocrates à ne pas pleurnicher, à se remettre au travail. « La Pologne, dit-il dans le quotidien Gazeta Wyborcza, attend la consolidation inachevée des institutions démocratiques, et la personne du nouveau président ne devrait pas être un prétexte pour abandonner cette tâche très importante ». Il se veut optimiste Sadurski, consolateur, battant.

Karol Nawrocki veut rendre sa grandeur à la Pologne, comme si elle l’avait perdue, mais le slogan sonne bien, il a fait ses preuves en Amérique. Trump ne s’y est pas trompé, qui l’a soutenu, il peut compter sur un nouvel ami dans l’Union européenne. Rien de réjouissant à l’Est.

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