De Gaza à la Cisjordanie : un siècle d’oppression et de résistance
(Via Le Monde diplomatique)
L’article d’Olivier Pironet propose une analyse approfondie du conflit israélo-palestinien, en s’appuyant sur une série d’ouvrages récents qui replacent ce conflit dans une perspective historique longue et coloniale.
Points clés
• Dimension coloniale : De nombreux travaux insistent sur l’héritage colonial du conflit, soulignant que la situation actuelle découle d’un siècle d’oppression, d’expulsions et de colonisation des terres palestiniennes, amorcés dès le mandat britannique et poursuivis par l’État d’Israël après 1948.
• Exode et dépossession : L’article rappelle l’exode massif de Palestiniens lors de la création d’Israël en 1948 (la Nakba), puis lors de la guerre des Six Jours en 1967, avec des centaines de milliers de réfugiés et l’occupation de Gaza et de la Cisjordanie.
• Occupation et colonisation : Depuis 1967, Israël occupe militairement la Cisjordanie et Gaza (jusqu’en 2005 pour cette dernière), y multipliant les colonies et les mesures de contrôle, ce qui nourrit un sentiment d’injustice et de résistance chez les Palestiniens.
• Complicité occidentale : Certains auteurs pointent la responsabilité ou la passivité des puissances occidentales, qui, par leur soutien ou leur silence, ont permis la consolidation de la colonisation et l’enlisement du conflit.
• Impasses politiques : Malgré les négociations et les processus de paix, l’article souligne l’absence de solution viable à deux États, en raison du morcellement territorial, de l’expansion continue des colonies et de la fragmentation politique palestinienne.
Conclusion
L’article met en lumière la persistance d’un conflit enraciné dans un siècle d’histoire, marqué par la dépossession, l’occupation et l’échec des tentatives de paix. Il invite à comprendre la situation actuelle à Gaza et en Cisjordanie à la lumière de cette longue durée, et rappelle la nécessité d’une analyse dépassant les seuls événements récents pour saisir la profondeur des enjeux et des souffrances.
Réponse critique à l’article de Olivier Pironet — par souci d’histoire, non de propagande
L’article d’Olivier Pironet publié dans Le Monde diplomatique de juillet 2025 prétend retracer un siècle de « colonisation », « nettoyage ethnique », et « résistance » dans les territoires palestiniens. Le propos, bien qu’éloquent et solidement articulé sur le plan narratif, s’éloigne souvent de l’enquête historique rigoureuse pour verser dans une lecture monolithique des événements, où les faits sont sélectionnés à l’aune d’une cause militante, non d’une recherche de vérité.
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Sur 1948 : de l’histoire à l’écriture militante
La guerre de 1948 est le point de cristallisation du récit de Pironet. Il y est question d’un « plan délibéré de nettoyage ethnique » visant à vider la Palestine de sa population arabe. Si ce récit fait écho aux thèses de l’historien Ilan Pappé, il ignore délibérément les nuances apportées par d’autres travaux historiographiques, notamment ceux de Benny Morris — auxquels je me rattache ici méthodologiquement, sinon politiquement.
Dans The Birth of the Palestinian Refugee Problem, Morris démontre que, si des expulsions ont bien eu lieu, elles ne furent ni systématiques ni planifiées à l’échelle nationale. Les causes du déplacement de 700 000 Palestiniens furent multiples : départs volontaires dans la panique, appels des autorités arabes à fuir temporairement, destructions militaires ciblées, et dans certains cas — oui — des expulsions pures et simples. Mais réduire cet exode complexe à un projet d’ingénierie ethnique prémédité relève plus du slogan que de l’analyse archivistique.
En négligeant totalement les archives israéliennes, les comptes rendus militaires, les témoignages contradictoires et les contextes locaux — comme l’exige toute démarche historique sérieuse — Pironet remplace la vérité par une narration.
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L’oubli stratégique des responsabilités palestiniennes
Un autre point de rupture avec la méthode historique réside dans l’effacement complet des dynamiques internes palestiniennes. Le texte de Pironet n’interroge ni le refus arabe du plan de partage de 1947, ni la militarisation du Hamas, ni les multiples échecs stratégiques de l’OLP et de l’Autorité palestinienne dans les décennies suivantes.
L’histoire de la Palestine n’est pas celle d’un peuple passif, opprimé sans relâche par une entité homogène nommée « Israël ». C’est aussi celle d’une lutte factionnelle, d’alliances changeantes, de choix militaires et politiques souvent dramatiquement inefficaces. Refuser d’en parler, c’est infantiliser ce peuple autant que le défendre.
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Un récit à sens unique : Israël réduit à un bloc d’oppression
Le mot « Israël » dans cet article ne désigne jamais un État complexe, traversé de contradictions, de débats internes, de courants politiques ou de crises morales. C’est un mot-bouclier, un monolithe colonial, qui agit mécaniquement, sans nuance, sans contexte, sans opposition interne. Où sont les voix des Israéliens critiques ? Où sont les archives de Tsahal évoquant des hésitations, des objections, des ordres d’évacuation annulés ? Où est l’histoire — pas la morale ?
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Conclusion : La cause n’excuse pas le simplisme
Pironet a écrit un texte convaincant… s’il était publié dans un tract ou un manifeste. Mais dans une revue qui se veut intellectuelle et historique, il est dangereux de présenter la mémoire comme un absolu et l’histoire comme un obstacle. La souffrance des Palestiniens ne nécessite ni embellissement ni dogmatisme. Elle mérite un récit honnête, rigoureux, imparfait — comme l’est toute histoire humaine.
C’est là que réside la force d’un Benny Morris : reconnaître les fautes, sans les instrumentaliser. Admettre les crimes, sans en fabriquer d’autres. Raconter, documenter, confronter — et non simplement condamner.
E. F.