VAN GOGH. FANTASTIQUE

Vingt heures et sept minutes. J’enclenche la marche arrière. Et boum. Je fracasse une voiture qui a eu l’indélicatesse de rouler à droite sur une route principale et qui n’a pas voulu me céder sa priorité. Patatras. Je vais manquer le Van Gogh de Stéphane Albelda, au Théâtre Interface. Après un cri d’indien, je décide d’être efficace, de photographier le résultat de mon délit, de donner ma carte d’identité de délinquant routier à la pauvre dame, de photographier la carte grise de son véhicule (pardon, Anabela !) et de rouler avec prudence vers Vincent et Théo.

Ce Van Gogh valaisan est un choc émotionnel fantastique.

« Comment t’as trouvé ? »

« Fantastique »

Je suis dans la nuit noire. Les lumières sont éteintes. Ma voiture est cabossée. Mon âme aussi. Silence.

« Comment t’as trouvé ? »

« Fantastique »

J’enclenche la marche arrière. Le sol est noir. Mon esprit éclairé. Silence. Elle ose encore.

« Comment t’as trouvé ? »

« Fantastique ».

Et s’il n’y avait que le théâtre de vrai sur terre ? Et si la vérité n’était inscrite que dans l’émotion d’un petit théâtre de chez nous ? Et si notre vie ne se jouait qu’au son d’une guitare électrique, au mouvement d’une oreille qui se déchire, au tressaillement d’un acteur écoutant son frère de scène, au plaisir d’une fille de joie accueillant dans l’allégresse son peintre d’un instant ?

Tu es là, au premier rang, tu entends le commissaire-priseur égrener des millions dépourvus du moindre sens. Tu attends. Tu ne penses pas. Tu es muet. Tu marches avec eux, avec elle, tu joues de la guitare avec lui. Tu attends et tu ne sais pas ce qui va te happer.

Et te voilà, dans la nuit, pleurant d’amour devant ces frères de sang. Te voilà, laissant couler dans l’obscurité des larmes de vérité devant cet homme abandonnant sa putain, ses enfants à elle, et lui demandant de marcher tête droite sur le trottoir et partout ailleurs. Te voilà dévisageant cette dame perdue que tu accompagnes sur le pont avant qu’elle ne saute dans le vide d’une nuit d’hiver.

La folie de ce moment de théâtre n’est plus aliénation et angoisse, mais découverte et embrasement.

Voici deux frères qui s’aiment, deux coeurs, un esprit. Il y a quelque chose d’indéfectible dans cette amitié amoureuse. Les mots, les lettres, les phrases, les silences n’ont plus d’importance, c’est l’émotion à l’état brut, une communion, oui, comme une union entre toi et l’autre, le Grand Autre d’une mise en scène voulant capter le spectateur, ou plutôt le provoquer pour qu’il se laisse envahir par une force nostalgique impérisssable. Tu pleures, mais tu aimes tes larmes, parce que tu sais qu’elles sont vraies, elles t’appartiennent certes, elles ne sont pas celles de ton voisin, mais elles t’emmènent en ces lieux inoubliables parce que, peut-être inoubliés, même si tu ne peux les rattraper avec tes mots.

Alors te voilà, l’écoutant elle, épaule dénudée, pieds nus, religieuse et soignante, agrippée ou agrippante, désarçonnante ou caressante. « Peindre ou baiser ».

Ce que tu veux le plus au monde ? Devenir le confident de Vincent, le frère de Théo, l’ami de Johanna Bonger. Un instant même, fugace hélas, tu songes à être guitariste.

Et ne pas mourir avant de songer à  visiter le cimetière d’Auvers-sur-Oise, dans lequel reposent côte à côte les deux frères, Vincent et Théo, que Johanna a réunis en 1914.

Les larmes ont séché. L’amour effleure encore. La folie est ton guide. Le mot est silence. La lumière conduit à la nuit.

« Dis-moi, Steph, dis-le moi, une fois encore, comme t’as trouvé ? »

« Fantastique ».

Bonjour à Stéphane, Didier, Coline, Baptiste et Guillaume !

 

 

 

Post Scriptum : Sur ce projet, la Cie Hussard de Minuit est composée de neuf artistes : Stéphane Albelda, (metteur en scène), Stéphane Liard (comédien) Didier Disero (comédien), Coline Ladetto (comédienne), Baptiste Mayoraz (musicien) et Guillaume Mayoraz (vidéaste), Marie Papilloud (scénographe), Carmen Bender (conceptrice lumières) et Mélanie Carrel (assistanat à la mise en scène).

Réservations : http://www.theatreinterface.ch/

 

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Stéphane Riand

Licencié en sciences commerciales et industrielles, avocat, notaire, rédacteur en chef de L'1Dex (1dex.ch).

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