Van Gogh : si près de la nuit étoilée … et dans la lumière bleue du paysage intérieur de Stéphane Albelda

La soirée avait mal débuté.

Un retard, une précipitation, et notre voiture qui emboutit le véhicule d’une aide-infirmière un peu égarée après l’incident. Laquelle s’inquiète, serons-nous mauvais payeurs, mais non, Madame, rassurez-vous, il est entièrement responsable (dans tous les sens du terme, par ailleurs).

Bref, un retard, une précipitation. Et puis une inquiétude, comment retrouver cette salle, si mal indiquée alors que nous voilà passablement énervés.

Et puis la magie de la scène, et on oublie tout. Le retard, la précipitation, l’inquiétude … et la voiture à l’arrière magistralement éraflée.

Et on admire la scénographie, la si belle scénographie de Marie Papilloud, qui décidément prend son envol dans une belle énergie créatrice. Une scénographie explosée, comme les destins ici racontés. Comme les images projetées sur non pas un, non pas deux, mais quatre ou cinq panneaux différents, parce que la vie, la vie ne se résume pas à une seule et unique palette. Et qu’il faut plusieurs toiles pour dire le talent.

Et on se perd dans le jeu des acteurs. On se perd dans la colère des débuts, l’amertume de la vie, les difficultés de l’un et de l’autre. On se perd dans l’histoire d’amour absolue entre deux frères, deux poètes, deux amants de la peinture dont la disparition de l’un entraînera inexorablement celle de l’autre. On se perd parce qu’on y croit, merci à vous trois. Et ce n’est pas rien, croyez-moi, ce n’est pas facile de nous entraîner, nous les boulimiques de l’image digitalisée, nous les rois du zapping invétéré, ce n’est pas rien de nous projeter dans un moment, celui-là et pas un autre, cet instant-là, très précisément, pour que l’on puisse entrer dans la vie d’un autre. Percevoir sa tristesse. Entrevoir sa peine et ses difficultés. Ses révoltes et puis sa divine colère.

Il y a indéniablement une patte Albelda, la patte d’un peintre, justement, ou plutôt, osons-le, la magie de l’araignée maligne qui tisse sa toile et puis vous enveloppe, et puis vous emprisonne, et vous qui en redemandez. Avec ce diable chevelu, il y a toujours une lumière bleue, et puis des accords de guitare lancinants. Des personnages qui déambulent, perdus dans leur propre profondeur … et puis soudain, tout qui explose. Et le texte. Et la musique.

Il y a un genre Albelda, qui fait qu’on le reconnaît maintenant comme on reconnaîtra toujours les paroles de Raphaël ou une mélodie de Christophe Maé. C’est presqu’une marque, oui, et cela en devient agaçant pour quelqu’un qui possède un sens critique développé, et qui se retrouve, béate, au premier rang, à admirer la belle direction des acteurs comme la sensibilité qui a permis de sélectionner de si magnifiques extraits de la correspondance entre deux frères, sans que jamais l’on ne s’ennuie. Oui, il maîtrise les silences comme les orages. Le rire et puis les larmes.

Parce que le drame est là, qui nous guette tous, lorsque l’on voit ces deux mondes qui s’affrontent, Dieu est dans les Eglises, martèle le premier, le raisonnable, Théo le bien nommé. Non, Dieu est dans les rues, rétorque le peintre à la veste trouée. L’enfant mal-aimé, le gosse qui a pris la vie et la place d’un autre, pense peut-être sa mère. Le vagabond à l’âme de poète dont la solitude vous déchire les entrailles. L’homme si sensible qui se dissimule derrière ses beuveries ou sa crasse. Le révolté qui cherche à épouser une prostituée pour l’arracher au trottoir, et parce qu’il fait preuve de compassion envers la putain, fille de putain, qui reste pure même dans la corruption, marche aussi droit que possible et sois une bonne mère, lui conseillera-t-il alors qu’il rompt avec elle. L’artiste novateur qui se révolte, que foutent les gens à part bavarder. L’artiste que l’on enferme, lui qui se laisse docilement emmener dans un asile d’aliénés, et puis mange de la peinture et puis boit de la térébenthine parce qu’il faut bien se rebeller face à ceux qui ne savent pas, qui ne savent rien, je me sens imbécile de devoir demander la permission d’aller peindre à des médecins.

Le drame est là, qui nous interpelle. Et nous ? est-ce que nous bavardons dans la nuit de nos silences ? est-ce que la vie nous dévore sans même que nous nous en apercevions ? que répondre à Van Gogh qui affirme qu’il préfère sa folie à la sagesse ? sommes-nous stériles ? béatement, idiotement stériles ? pourquoi la création induit-elle une si grande douleur ? une si atroce solitude ? est-ce le prix à payer pour créer, créer quelque chose qui perdure ?

Il nous faudrait des ailes pour survoler la vie, chuchote Vincent.

Oui, des ailes de géant.

 

 

Post Scriptum I : On est prof de littérature ou on ne l’est pas : j’invite tous les amateurs de belles lettres à retrouver les références littéraires que Stéphane Albelda a semées de ci, de là. Elles traversent les siècles, mais restent d’actualité.

Post Scriptum II : Bravo aux frères Mayoraz, au prince de la musique comme au roi de l’image !

 

Réservations : http://www.theatreinterface.ch/

 

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2 pensées sur “Van Gogh : si près de la nuit étoilée … et dans la lumière bleue du paysage intérieur de Stéphane Albelda

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