CALIGULA, UNE PIECE DUELLE

… ou quand les étudiants des Creusets dégainent le talent pour dénoncer l’absurdité de la liberté absolue

Caligula dénonce un monde insatisfaisant, un monde absurde,  un monde qu’il tente dès lors de changer au nom de la liberté qui est la sienne. Il renie donc l’amitié comme l’amour, il raille alors le bien comme le mal au nom d’une logique froidement rationnelle qui se rit des sentiments et l’entraîne dès lors dans l’anéantissement programmé d’une société dont il dénonce les travers. Dans cette quête, il oublie cependant un élément essentiel, à savoir qu’en détruisant l’humanité, il en perd la sienne.

« Qu’ils sont beaux, les mots de Camus ! », m’avoue Stéphane Albelda, qui emmène ses étudiants, une fois de plus, aux confins de l’un des plus terrifiants textes de la littérature française. A l’instar du Procès de Kafka, ou de Huis-clos de Sartre, le texte de Camus sonde l’absurde de l’existence humaine, la bêtise des hommes et leur lâcheté infinie. Oui, la vie est un procès terrible que la mort nous fait, la vie induit malheureusement la mort, la vie ne se conçoit pas sans les autres.

Pour illustrer le propos de cette pièce, dont le personnage principal est un empereur romain à l’équilibre mental instable, le metteur en scène choisit volontairement le déséquilibre. La quête de Caligula est désespérée, il cherche la lune, il exige de la lune qu’elle devienne sienne, il veut changer l’ordre de l’univers, conquérir l’immortalité. Et Caligula, logiquement, de pencher son corps en avant, encore plus en avant, jusqu’à perdre l’équilibre.

La pièce joue sur les contrastes et les oppositions ? Le spectateur passera du silence de répliques presque chuchotées au bruit le plus assourdissant quand Caligula se transforme en (mini) Rocky Balboa dans un entraînement plus que vitaminé. Même dans le son, les oppositions demeurent, puisque les notes discordantes du début s’opposent à la mélopée lancinante du piano qui pleure la révolte inutile et la mort de Caligula. Fidèle aux conceptions brechtiennes du spectacle total, Stéphane Albeda s’adresse à tous nos sens et, après l’oreille, s’attache à la vue. Ainsi, les comédiens, dans cette pièce noire, sont majoritairement vêtus de blanc. A quelques exceptions près, dont celle d’Hélicon, ancien esclave et ami de Caligula, dont les splendides chaussettes vertes interpellent. Stéphane Abelda cherche donc constamment le décalage pour inciter le spectateur à la réflexion, même si celle-ci passe par l’estomac, en l’occurrence celui d’Hélicon qui gave joyeusement le sien grâce à des chips qu’il ingurgite avec un bonheur qui laisse à penser que cette indication a dû lui convenir à merveille !

Un décalage qui se traduit également dans le choix de direction des acteurs. On aime ce Caligula, non seulement parce que tout un chacun souhaite connaître le secret de la jouvence éternelle, non seulement parce que l’homme (et nous en sommes !) est pétri de violence inavouée, mais surtout parce que son désespoir est le nôtre. Quoi qu’on en dise.

Alors n’hésitez pas, courez, volez vers l’Aula des Creusets, il n’y a qu’un soir, un soir pour plonger en vous-mêmes. Un seul soir pour saluer le talent très prometteur du jeune Emeric Cheseaux. Un seul soir pour admirer la feinte nonchalance d’un Hélicon bien plus profond qu’il n’y paraît, ou la tristesse d’un Scipion dans laquelle on ne peut que se reconnaître parfois.

Un seul soir pour saluer l’engagement d’un homme qui fait honneur à sa profession. Une profession trop souvent décriée. Monsieur Darbellay, de grâce, préservez les dinosaures ! Privilégiez tout ce qui interdit le formatage : Stéphane Albelda n’est pas un enseignant comme les autres, et il en faut, parce que, au-delà de l’enseignement, c’est ce qui lui donne un supplément d’âme.

 

Post Scriptum : dernière représentation ce soir à 20 heure 30 à l’Aula du Collège des Creusests

 

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