LE JARDIN DES SEPT CREPUSCULES, DE MIQUEL DE PALOL, EST UN CHEF D’OEUVRE

Le Jardin des Sept Crépuscules, de Miquel de Palol, est un joyau.

Le grand-père de l’auteur était poète. Son père eût voulu être sculpteur, il ne fut qu’archéologue et professeur de préhistoire à l’université. Miquel de Palol étudia l’architecture, mais devint poète et écrivain. Tâcher de comprendre le Jardin des Sept Crépuscules sans savoir cette ascendance, ce serait un peu comme entrer dans Homère en croyant que l’Odyssée n’est que la quête d’un père par un fils joué par les dieux.

Miquel de Palol, en poète baroque et déjanté, a construit son roman tel un archéologue plongeant son esprit au plus profond de la terre de ses ancêtres, sculptant avec sa plume et de ses mains, un roman d’architecte dont les fondations sont d’une complexité telle qu’elles laissent le lecteur ébahi d’admiration devant la netteté du découpage et la complexité presque divine, en forme par certains de ses éléments de poupée russe.

Quels sont les romans qui m’ont à jamais marqué ? A cette question surgissent devant moi, avec une force irrépressible, Les Frères Karamazov, Belle du Seigneur et le Rouge et le Noir. Il ne fait nul doute que si j’avais connu dans mon adolescence cet écrivain catalan, il eût accompagné Dostoievski, Albert Cohen ou Stendhal. Miquel de Palol appartient aux plus grands. Comment s’étonner alors qu’il a reçu le prix Joan Creixell (1989), le prix Crítica Serra d’Or (1990), le prix national de la critique (1990), le prix national de littérature (1990) et le prix Ojo Crítico II Milenio de Radio Nacional de España. Eût-il été espagnol plus que catalan que le Prix Nobel de Littérature lui eût été peut-être attribué bien avant Bob Dylan.

Miquel de Palol  a composé ce chef d’oeuvre baroque en s’appuyant sur un immense plan de papier, conservé chez lui, m’a-t-il dit, répertoriant pas moins de 250 personnages. Hallucinant et vrai ! Le lecteur, même très attentif, se perd dans ce labyrinthe de noms, comme si l’auteur avait décidé dès la première ligne d’abandonner en chemin le courageux lecteur qui n’aurait pas été rebuté d’entrée par les 1’150 pages de ce chef d’oeuvre, élégamment traduit en français par François-Michel Durazzo.

Aucun critique, même le plus téméraire, n’osera s’engager sur la voie de la rédaction d’un résumé concis de ce roman. La tâche s’avérerait impossible et vaine. Miquel de Palol est sur la route, en 2016, de la rédaction d’un autre roman. Sa compagne, incitée à découvrir certaines pages, s’est exclamée : « Mais, Miquel, veux-tu rendre fou le lecteur ? ». Je n’ai pas bien vu la moue de l’écrivain, mais j’ai pensé que tel, effectivement, pouvait être son intention. Et certains passages du Jardin des Sept Crépuscules donne très exactement cette impression, par exemple l’Histoire du dîner chez Virginia Guasch qui provoque une angoisse insolite alors que l’auteur ne décrit qu’un banal repas qui, répété, jette ce trouble immanquablement associé à une angoisse souterraine. La folie guette, elle est là, à nos pieds, nous la sentons, nous l’humons, nous la touchons, et nous voilà, pour un instant, délivré.

img_7533Le Jardin des Sept Crépuscles est composé par des conteurs réunis, en pleine guerre mondiale d’aujourd’hui, dans un lieu protégé, Les hôtes passent leurs journées, leurs soirées, à conter des histoires, qu’ils travestissent à l’envi pour tenter, apprend-on,en cours de roman, de retrouver un joyau.

L’auteur n’étant pas sans ressources philosophiques, sans connaissances psychanalytiques, sans références mathématiques ou astronomiques, on devine qu’il a abandonné en cours de route maints indices, détournant, volontairement ou non, son lecteur de cette route victorieuse qui mène au joyau. Quoi d’étonnant alors que le Catalan ait reçu le prix Joan Creixell (1989), le prix Crítica Serra d’Or (1990), le prix national de la critique (1990), le prix national de littérature (1990) et le prix Ojo Crítico II Milenio de Radio Nacional de España.

 

Le sexe, dans tous ses états, ne pouvait échapper à la sagacité de l’écrivain catalan, dont les connaissances de la psyché humaine malmènent souvent le lecteur dans des zones d’inconfort, de rêves ou de folie, qui détournent celui qui lit du chemin qu’il croyait devoir prendre après avoir été souvent confondu. « En peu de temps, dans ma folie, tous les hommes de la ville avaient couché avec ma femme : amis, inconnus, des centaines, des milliers d’hommes aux yeux ébahis, disposés à me prêter leur désir pour mon plaisir et pour ma perte. Mon ange était devenu une femme adultère, un monstre de promiscuité et de halètements lubriques. »

Le lecteur marche avec le narrateur, multiple, pour trouver ce joyau, nécessaire notamment à la préservation de la paix dans le monde.

Révéler l’impossible serait altérer la beauté du livre, parce que le seul joyau du moment sera cet instant où vous saurez que vous innécessaire parce que vous êtes nécessaire.

Le joyau de Miquel de Palol s’appelle Le Jardin des Sept Crépuscules.

 

 

Le début du livre

 

Barcelone, à la première alerte atomique de son histoire, connut une hécatombe. Indépendamment de la panique et de l’incrédulité, ce qui surprenait le plus ceux qui, comme moi, étant en mesure d’apprécier la situation, était d’avoir vu la vie de la capitale et du pays, son organisation et l’ordre public, le train des habitudes, ce que l’on tient pour des obligations à satisfaire lorsque tout va bien, s’effondrer en à peine deux jours, comme si nous avions vécu sous une immense poche de pus qui n’attend qu’une piqûre pour éclater.

 

Miquel de Palol sera aujourd’hui à la libraire La Liseuse, à Sion, dès 16 heures, à l’occasion de la sortie du premier livre de Béatrice Riand, « J’aurais préféré Baudelaire heureux ».

 

 

Référence : Miquel de Palol, Le Jardin des Sept Crépuscules, Zulma, 2015 (disponible dans toutes les bonnes librairies, notamment à la Liseuse, à Sion, et à la Librairie Le Baobab, à Martigny

Stéphane Riand

Licencié en sciences commerciales et industrielles, avocat, notaire, rédacteur en chef de L'1Dex (1dex.ch).

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