10 ans déjà. A qui le veut

(PAR HADRIEN FAVRE)

 

Pour les dix ans de L’1Dex, Hadrien Favre nous fait l’amitié de ce texte.

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A qui le veut

« Moi j’étais fait pour être jardinier »,
Sculpter la tire aux écailles fournies,
Embrasser la volaille, épier la fourmi
Et tirer lentement sans devoir dire merci
Verre sur vers et bouffée sur bouffée.

J’étais fait pour la pipe et la loi des bohèmes,
Le chant alpestre, les rigodons et les dondaines,
Fait pour la lyre au petit soir de juin,
Pour le soleil rasant et pour le petit vin
Frais qu’on sifflait enfant, pendant Carême.

J’étais fait pour aimer le goût de la voltige,
Le risque du serpent qu’on baise sur la tige
Et la peau des amours rares
Et, étant immoral, le sourire du regard
Des passantes qui nous afflige.

J’étais fait pour le vent sacré porteur d’aurore,
Le tambour fracassant sur les grands miradors,
Le sifflet voyageur, la plume traversière,
Le coeur léger, la voix légère,
Et les rutilements des principessa maures.

Moi j’étais fait pour rire et croire
Et ne pas croire aussi, -être joyeux pourtant-,
Aimer toujours, aimer parfois, aimer de temps en temps.
J’étais fait pour le geste et le pas des Hercules,
Pour les violons pisseux, les mouches qu’on encule,
Non pour être croyant, mais pour être crédule,
Pour déplaire aux « Monsieurs » sous leurs moustaches sèches,
Aux saucisses debout dans leurs airs de calèche,
Aux frites saintes, aux angélus, aux porteurs d’eau,
Au bénitier comme au crapaud.

Las qu’on m’ait apporté l’ombre d’une faucille,
J’aurais fait du froment ma sotériologie.
Las que l’on m’ait donné un peu d’esprit profond
J’en aurais fait germer – jusqu’au ciel ! – des ponts.
Une épée, une plume, une lyre, un carquois,
Dieu que l’on m’ait tendu un début de pourquoi,
J’en aurais fait des fraises au lieu de vieux billets
Et de l’espoir en vain plutôt que des lauriers.

J’aurais fait l’horizon de pamplemousses d’or,
Le matin rougeoyant, la lèvre humide,
J’aurais rendu sa gloire aux Laurentides.
J’aurais lestement délesté aux ingrats mes sylphides,
Justine aux « Sades », Ariane aux « Minautores ».
Et dévoyant le monde d’un miasme languissant,
J’aurais poussé son corps vers un pas de géant.

Il n’y a plus, hélas, ce tintamarre du vide,
Ce dégout de l’ennui, ce chant du funambule.
Des siècles traversés, courant comme on recule,
Ils sont ici rendus intimement livides.
Et le béton vivant sans s’arrêter copule,
Tout est morne et l’azur n’est plus qu’un crépuscule.
Ils ont figé la vie dans une paix obscène
Où stagnent en barbotant des destins épicènes.
Est-ce le cri savant, est-ce l’Hidalgo mort,
Est-ce l’homme adorant un dieu qui s’évapore ?
Et le bruit des cerveaux qui lentement s’enfument,
Est-ce ces nouveaux dieux et leur culte d’enclume.
Tout va, tout file, impossible de dire,
Comment s’asseoir sur ce tertre de lires ?
L’art a perdu, toute phrase est amère.
Comment parler d’écume, ils ont tué la mer ?
Ils sont devenus graves. Où sont les métaphores,
Où sont partis les miens, les vivants sémaphores ?
Ma langue est grise et ma larme se perd.
.
Si tu le peux encore,
Marche homme ! Car ta tombe
Est le reflet de ton aveuglement.
Pousse plus loin, pousse dans l’ombre
Le voile de ton pansement.
Espère, oublie et sans cesser de rire, adore !
Ouvre tes yeux. De ton sein l’espoir a surgi.
Le temps de vivre est le temps d’une vie.
Tient, j’ai écrit des reliquats de candeur, quelques éclats de plus loin.
J’ai ri,
Pleuré, volé, charmé,
J’ai fait ces mots pour caresser,
-Sans y croire vraiment-,
Un peu de ce qu’il te reste d’humain.
Si j’avais plus de temps
-Crois-moi-, j’aurais fait un jardin.

 

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Commentaire de L’1Dex : tout simplement … magnifique !

Une pensée sur “10 ans déjà. A qui le veut

  • 1 mai 2021 à 16 h 18 min
    Permalink

    Joyeux anniversaire et longue vie à l’1dex.

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