Joël Cerutti. Mais des choses pareilles …

Mais des choses pareilles…

C’était un vernissage à son image, vous savez, vousconnaissez le bonhomme. Un vernissage qui favorise les belles rencontres, un verre de Fendant à la main. Il y a là, au Centre culturel de Malévoz, Jacky Laggerqu’accompagnent son look toujours plus improbableet ce rire, ce rire énorme, ce rire qui dévore à grandes dents des moustaches qu’aucune pluie n’atteindra jamais. Il y a encore Gérard Sermier, qui a mille et une anecdotes à raconter parce qu’elles disent mille et une vies trépidantes, et puis Jean-Pierre Huser, souvenez-vous, Jean-Pierre Huser qui chantait autrefois la rivière, la rivière du joli temps, du joli temps passé. Un vieux barde, oui, qui s’attable avec Gustave Cerutti, l’homme qui confronte les couleurs, célèbre l’indigo ou l’orangé, cherche l’équilibre et défriche l’art concret comme d’autres une forêt enchantée. Sans oublier une magicienne aux grands yeux bleus, Esther Sarre, une fée lunaire, la fée aux livres, celle qui raconte les auteurs et puis cherche dans l’histoire, la grande ou la petite, de quoi alimenter leur imaginaire. Enfin, les deux éditeurs,plutôt décontractés, qui entourent leur auteur avec amitié, et on les comprend, Joël Cerutti – qui adore les histoires de tueurs en série – a écrit un polar sans cadavres : il n’y a pas de sang, pas de mort, juste la vie. C’est important, ici et maintenant surtout, de célébrer la vie et celle qui la nourrit, la vraie sympathie. Pas celle qui fait semblant, pas celle qui salue façon vieille mondaine éreintée, non, mais celle qui te sourit quand tu la rencontres, celle qui colonise tout le visage, celle qui emporte tout sur son passage.

Tout ce joli monde se réunit maintenant autour des quelques mots de Nicolas Sjöstedt, un éditeur qui avoue aimer « les rencontres et les coups de cœur », parle d’un roman « qui vous prend par la main »,décrit Joël comme « un petit lutin un peu dérangeant », et puis chante le texte, « quand le castor est dans la forêt, tu n’as pas besoin de cure-dents ». Avoue enfin qu’en Valais, il a « l’impression d’être un peu en famille ». On le comprend, oui, si Neuchâtel était autrefois une principauté, la ville aux deux collines quant à elle garde jalousement ses deux châteaux. Nicolas Sjöstedt apprécie le Vieux Pays, et puis l’auteur qu’il édite, cela se voit, et il le dit dans un grand éclat de rire, « lisez Cerutti, c’est bon pour la santé ».

Joël Cerutti, lui, affirme que ce livre est le cri de vengeance du jeune fusilier de montagne qu’il était, cantonné à Monthey, rongeant son frein en se disant qu’un jour viendrait où il écrirait ce qu’il vit, ce qu’il voit. Ce roman est en germe depuis déjà quelques décennies, le cambriolage, le casse des cent millions. Mais le chemin est parfois long, de la peur à la tête, de la tête à la main, il se dit qu’il n’y arrivera pas, qu’il n’est pas légitime. Alors il apprivoise l’écriture ailleurs, grâce au journalisme ou dans des livres qui parlent des sentiers oubliés du Valais secret. Maisarrive alors ce que personne n’attendait, arrive la pandémie qui balaie tout, les petits cafés entre amis, les moments inutiles à chercher ce dont on n’a pas besoin, les certitudes comme les incertitudes, « jusqu’à cinquante ans, je n’ai jamais cru que je pourrais écrire un livre ». Joël Cerutti se contredit de belle manière et en quatre mois seulement imagine un nouveau genre, un thriller oui mais un thriller raclette, un thriller hybride, un thriller sympa où il y a des méchants peut-être mais des méchants bien de chez nous, qui fréquentent des lieux qu’on a connus et puis perdus, des méchants qu’on comprend parce que des failles telluriques les traversent que les âmes chagrines ne s’y intéressent donc pas, faute de psychopathes au regard gelé ou de cadavres enfouis dans un sol grouillant de vers affamés.

Joël Cerutti parle de notre terre, de nos montagnes, mais aussi de notre armée, de notre justice, de notre police et de nos hommes politiques. L’air de rien, il égratigne avec bonne humeur et dans un style très personnel ce petit monde policé qui baigne dans un copinage que d’aucuns qualifieraient d’incestueux, mais qui en Valais semble pourtant relever d’une obligation morale. Même s’il s’en défend, vous reconnaîtrez de ci de là les portraits fleuris de quelques personnalités, un CC déguisé en Picsou qui se désespère d’avoir perdu ses cent millions, un vieuxjuge qui se perd dans la Rue de la Soif et un autre qui veut faire carrière, qui veut faire carrière, qui veut faire carrière. Mais il y aussi la revanche de la jeunesse, qu’on passe peut-être à tabac pour avoir relevé la tête mais qui sèmera ensuite la plus belle des pagailles avec un casse d’une mécanique impitoyable, la police comme la presse n’y verront que du feu, et on s’en réjouit. La vengeance a parfois du bon, avouons-le, et c’est peut-être cela, la vraie trouvaille de ce texte, nous permettre de ressentir une jubilation que les convenances nous interdisent.

Joël Cerutti n’a pas écrit un roman, pas vraiment, non, il s’assied à nos côtés pour nous raconter une histoire, comme autrefois, pendant les veillées, dans ces temps immémoriaux où les gens prenaient le temps de s’écouter. Et de se parler.

Une pensée sur “Joël Cerutti. Mais des choses pareilles …

  • 21 juin 2021 à 12 h 12 min
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    Merci Béatrice pour cet article « hors normes » qui sera le seul à raconter autant le vernissage que le livre! La vie permet de se parler, elle offre aussi l’immense cadeau des plaisirs que l’on s’offre: oser pondre une fiction entre 57 et 58 ans. Du coup, cela donne envie de recommencer d’autres contes… Le prochain se profile…

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