Patatras (273). Marin et papa

Je me suis toujours interrogé au sujet de cette célérité judiciaire consistant à écarter un jeune enfant de l’un de ses parents à la veille de Noël. Ce bouleversement intime qui est mien a sûrement sa source dans une séance où un juge que l’on croyait philosophe, se méprenant complètement sur la santé mentale de la mère, a choisi de penser que le père était un abuseur d’enfant alors que le simple bon sens eût dû le conduire à hospitaliser la mère qui, moins de deux ans plus tard, décida de mettre fin à ses jours, happée par sa douleur et par son destin. La décision judiciaire conduisit à ce que plus jamais une fille de six ans ne vît son papa qui avait pourtant pris soin d’elle toutes les premières années de sa vie, l’enfant se persuadant que les propos délirants de sa mère avaient un rapport avec la réalité, ce que l’enquête – désespérément lente – ne permit jamais d’établir tant la bonté paternelle força les intervenants à reconnaître l’impossibilité matérielle de crimes imaginaires immondes construits sur un grave délire de persécution.

Un père est aujourd’hui dans la situation où, pour avoir disjoncté lors d’une occasion spécifique, sous l’effet de l’alcool, ne supportant plus des comportements jugés par lui nocifs, a été écarté – provisoirement ou non n’est pas la question – de la vie de son fils en cette fin d’année. Au contraire d’autres pères, cet homme a choisi de s’évader dans son activité professionnelle non usuelle. Il est marin. Il a donc repris la mer sans oublier de prendre avec lui son téléphone portable, ses vidéos et les adresses de ses contacts. Ne pouvant pas accéder à son enfant, ni d’ailleurs à son domicile depuis plusieurs semaines pour des motifs qui échappent à mon entendement mais pas à celui, semble-t-il, des intervenants sociaux, ce marin courageux, fort apprécié des armateurs pour lesquels il travaille, a choisi de ne pas se faire oublier de son fils. Et la solution trouvée n’est pas banale.

Ne pouvant même pas lui parler, on se demande ici aussi pourquoi, confronté à la pratique des féries judiciaires et à celle des vacances administratives des organes de la protection de l’enfance, à la résistance chicanière de la personne en charge de l’enfant, il n’a pas renoncé à maintenir une relation étroite avec son fils, qui avait tant apprécié les semaines passées en mer avec son père. Alors, vous demandez-vous, que fait le père ?

La solidarité entre marins n’est pas un mythe. Les océans et les mers, les ouragans et les tempêtes, les jours de solitude et de connivence, font que des marins par plusieurs dizaines, une centaine peut-être, ont décidé pour aider le père d’envoyer de tous les coins du monde, car les marins voyagent, des cartes postales au petit enfant qui saura rêver de l’au-delà, de l’ailleurs, mais surtout de son père.

Personnellement, j’applaudis cette démarche qui paraîtra insolite à plusieurs, terne à d’autres. Mais certains, moins intolérants, croiront à la force de cette approche, au soleil qui luira dans les yeux de l’enfant et à ce voyage imaginaire qui le formera par dessus les montagnes, les alpages et les forêts.

Mais que faire lorsqu’un parent rêve de montagnes, l’autre d’océans. Que faire lorsque des oppositions fantasmées interdisent toute approche consensuelle ? Que faire lorsque la vie sur un bateau ou dans une cabane de haute montagne n’est pas considérée comme appropriée pour un jeune enfant de nos contrées ? Que faire lorsque le Cervin ne veut pas communiquer avec le Pacifique ?

Ce qu’il ne faut pas faire, c’est se cacher sous un sapin.

Mais que faire ?

Le père a offert à son fils un puzzle de pirate.

Moi, je sais, je vais interroger Le Petit Prince.

Post Scriptum :

L’article est en libre accès, à destination de tous les marins et de tous les lecteurs de Joshua Slocum

Stéphane Riand

Licencié en sciences commerciales et industrielles, avocat, notaire, rédacteur en chef de L'1Dex (1dex.ch).

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