Dix ans, déjà. Dieu, arbitre des nations

Pour les dix ans de L’1Dex, l’Abbé François-Xavier Amherdt nous fait l’amitié de ce texte.

(Par François-Xavier Amherdt)

Dieu arbitre des nations

Le sport peut être considéré comme le reflet de la société et le révélateur de la personnalité de celles et ceux qui s’y adonnent. Par ses enjeux anthropologiques il sert de parabole pour la compréhension de notre monde. Parmi les acteurs sportifs, le Seigneur des Écritures assume volontiers la posture de l’arbitre des nations (Is 2,1-5). À travers son expérience de 45 ans d’arbitrage de football, l’auteur, prêtre diocésain et professeur de théologie, dégage quelques pistes herméneutiques d’une éthique de l’existence contemporaine.

Jérusalem : un mot duel eschatologique

« Il arrivera dans les derniers jours que la montagne de la Maison du Seigneur se tiendra plus haut que les monts, s’élèvera au-dessus des collines. Vers elle afflueront toutes les nations et viendront des peuples nombreux. Ils diront : « Venez ! montons à la montagne du Seigneur, à la Maison du Dieu de Jacob ! Qu’il nous enseigne ses chemins, et nous irons par ses sentiers. » Oui, la loi sortira de Sion, et de Jérusalem, la parole du Seigneur. Il sera juge entre les nations et l’arbitre de peuples nombreux. De leurs épées, ils forgeront des socs, et de leurs lances, des faucilles. Jamais nation contre nation ne lèvera l’épée ; ils n’apprendront plus la guerre. Venez, maison de Jacob ! Marchons à la lumière du Seigneur. » (Isaïe 2,1-5)

Vivement ce jour où le shalom, la paix dans sa plénitude, rassemblera tous les peuples ! Où les croyant·e·s de toutes les traditions religieuses deviseront de concert avec les non-croyant·e·s. Où les pays de l’hémisphère Sud partageront le même repas plantureux avec ceux du Nord. Et où Pelé pourra jouer avec Maradona, ainsi que le champion brésilien a confié qu’il en rêvait, dans son message d’amitié à l’adresse de son rival argentin de toujours, au moment du décès de ce dernier à fin 2020.

Ce sera à Jérusalem, affirme l’oracle eschatologique du premier Isaïe au début de son livre, la cité dont le nom hébreu signifie justement « ville (ier) de la paix (shalom, au duel, pluriel de deux éléments) ». Jérusalem est au duel précisément parce que la communion, élaborée ici-bas dans la douleur et les combats, anticipe la Jérusalem céleste descendant d’auprès du Seigneur, lorsque seront établis les cieux nouveaux et la nouvelle terre (Ap 21,1-2), au-delà de la crise écologique et du réchauffement climatique, dans une participation cosmique au salut universel.

J’y aspire de toutes mes forces. Comme chacun·e, j’y œuvre à mon humble mesure. Cela adviendra à Sion, la colline où est bâti le temple. Or, – et je n’ai pas à en tirer une quelconque gloriole –, je suis moi-même originaire de Sion en Valais – Suisse, le siège de mon diocèse. Cela se réalisera lorsque Dieu sera l’arbitre de tous les peuples. Or, j’exerce la fonction d’arbitre de football depuis 1976 (dont cinq années en ligues supérieures helvétiques), comme celles d’inspecteur et d’instructeur (formateur) d’arbitres.

Le terrain : un microcosme « utopique »

Que demander de mieux ? Le Seigneur réunira les nations, les races, les religions, les multitudes infinies, les 144’000 selon le livre de la Révélation, soit 12, le chiffre de la plénitude des alliances anciennes, fois 12, la totalité des peuples nouveaux, fois 1’000, le nombre de l’immensité. Dieu brisera les épées et les lances, il en fera des socs et des faucilles pour la moisson d’éternité. Il cassera les guerres, enfin, pour installer les ennemis dans la demeure du paradis définitif, sans plus de distinction de provenances, de conditions ni de convictions. Alors vraiment, « les derniers seront les premiers » (cf. Mt 20,16), tous seront sur le podium de la vie, selon des perspectives inapplicables aux compétitions actuelles. Alors finalement, « heureux ceux qui pleurent pour avoir perdu, ils seront consolés dans la gloire partagée », selon une béatitude « renversante », comme le sont toutes celles du Nouveau Testament, qui ne paraît guère susceptible de motiver les champion·ne·s d’aujourd’hui…

Être prêtre du Christ, être baptisé·e en Jésus prophète, roi et serviteur, être disciple-missionnaire, selon le vocabulaire de l’exhortation Evangelii gaudium (n. 24) au sein de l’Église « catholique »-universelle, c’est essayer de travailler à ce que commence déjà à survenir ce Royaume instauré par le Fils de Dieu, où l’essentiel est de participer parce que tous remportent la victoire, où l’Évangile de l’amour l’emporte sur la haine, le respect sur la violence, le pardon sur les conflits. Chacun·e là où il évolue, dans sa Jérusalem terrestre.

En rassemblant des joueurs et des athlètes des quatre coins de la planète, en les soumettant aux mêmes règles reconnues par l’ensemble des partenaires, les disciplines sportives anticipent à leur manière, certes imparfaite, cet horizon ultime de réconciliation. L’espace d’un moment, les adversaires parviennent à jouer ensemble, le loup cohabite avec l’agneau, la panthère rivalise de grâce avec le chevreau, la vache et l’ourse tendent vers le même but, le jeune enfant s’amuse avec la vipère (cf. Is 11,6-8). Au point que certaines parties (de pingpong ou de foot) entre des pays en guerre ont pu servir de préludes diplomatiques pour de timides rapprochements, comme entre l’Iran et les USA, ou entre les deux Corée. Sur le terrain, plus de Noirs ou de Blancs, de républicains ou de démocrates – j’allais ajouter de Suisses alémaniques ou romands, de Haut-(germanophones) ou Bas-Valaisans… Le petit rusé peut triompher du grand puissant. L’équipe de 2ème division peut sur un match battre en coupe le champion national.

Le terrain de sport constitue en quelque sorte comme un « monde en miniature » et aucun spectacle, toutes catégories confondues, ne rassemble autant de personnes que le 100 mètres des Jeux olympiques ou la finale du Mondial de football, surtout si la France y gagne…, petit clin d’œil helvétique.

Ce n’est pas par hasard du reste que les expressions issues des registres liturgique, théologique ou ecclésial fleurissent dans le jargon des journalistes ou des commentateurs sportifs : Roger Federer « au paradis », – soyons aussi un tantinet chauvin –, Novak Djokovic « en enfer », le XV sud-africain « en état de grâce » contre les Old Black néozélandais, la Squadra Azzurra « au purgatoire parce que privée de championnat du monde, le goal-keeper préservant son « sanctuaire » inviolé, le « sacrifice » du lièvre pour le nouveau recordman du 5000 mètres lors de l’ultime meeting d’athlétisme, etc. C’est comme si les formules qui ne font plus sens dans le langage habituel retrouvaient une nouvelle jeunesse dans le cadre des affrontements athlétiques.

Instants de grâce

Bien sûr, rares sont les événements où le public local acclame la formation adverse qui vient de remporter la course ou de gagner le match, tant l’exploit a paru intrinsèquement beau. Cela peut arriver, comme aux JO d’hiver de Lillehammer lorsque la foule norvégienne, après un instant de stupeur, a littéralement porté aux nues le relais 4 x 10 kilomètres italien qui venait de l’emporter sur les fondeurs locaux, en un final absolument époustouflant et étourdissant. Je continue de rêver que Maradona, après son « fameux » but marqué de la main dans le quart de finale contre l’Angleterre du Championnat du monde au Mexique en 1986, se soit approché du directeur de jeu pour lui signaler son infraction…

Le Royaume n’est « pas encore » totalement installé, et pourtant il est « déjà » là dans ces éclairs de justice et de bienveillance dont sont parsemés nos existences, notre quotidien, et même les rencontres sportives. Dieu habite à la fine pointe de notre être, il nous comble de sa présence, dès aujourd’hui, les consolations réelles succèdent aux désolations, finalement illusoires. Et les instants de grâce dont les compétitions athlétiques sont rythmées, qu’elles soient du registre amateur ou professionnel, ressemblent presque à s’y méprendre à cette impression de « temps hors du temps » que l’apôtre Pierre perçoit sur une autre montagne, celle de la Transfiguration. Dans notre chemin spirituel, affectif ou sportif, nous aimerions suspendre parfois le déroulement du chronos pour saisir le kairos et y installer notre tente (Mt 17,4), quand l’esprit d’équipe, l’esprit de famille et l’Esprit saint prennent place en notre vie ou quand chacun·e se sent membre d’un même et unique corps.

Fautes, avertissements et discernement

Mais évidemment, il faut encore de « pauvres » arbitres terrestres pour qu’une « rencontre » – quel terme évocateur ! – puisse avoir lieu. À leur manière, ceux-ci servent le « beau jeu », ils favorisent le fairplay et protègent les chevilles des avant-centres contre les tacles ravageurs des stoppeurs. À sa manière, l’arbitre, ce serviteur ô combien « inutile » (cf. Lc 17,10), que presque jamais personne ne félicite et qui ne gagne jamais rien, sinon éventuellement l’estime des acteurs en présence, contribue à faire avancer le royaume. Quelle satisfaction que de mener à son terme une partie entre deux antagonistes réputés comme hargneux ou sempiternels rivaux : un derby Inter – AC Milan, un « classico » Real – Barcelone, ou un affrontement Olympique Marseille – Paris-St-Germain !

Mais laissez se dérouler un Allemagne – France sans arbitre et vous aurez quelques morts, ou en tous cas plusieurs blessés. Puisque même avec un arbitre, le gardien Schumacher a pu « tamponner comme un bulldozer » l’attaquant Battiston sans se faire expulser ! Car les êtres humains sont ainsi faits, dans leur imperfection constitutive, capables du meilleur comme du pire, qu’ils ont besoin de règles du jeu, de « commandements et observances », préciseraient les deux Testaments, pour continuer à « rester libres » (cf. Ga 5,1). Et il est nécessaire que les arbitres-juges les fassent appliquer de manière aussi impartiale que possible, sans quoi la violence déferle. « Heureux les affamés et assoiffés de justice », chante la béatitude centrale dans le premier discours du nouveau Moïse, sur une autre montagne (encore !), dans le premier évangile (Mt 5,6).

Les arbitres, comme les juges en tous domaines, apparaissent comme les garants de ce droit à l’équité pour tou·te·s, surtout pour les plus faibles et les artistes, contre les « mastodontes » ou les tricheurs. Grâce à un code universellement admis, le match peut avoir lieu, le scénario à chaque fois inédit peut se dérouler, « le manu-scrit » (en handball ou en tennis) ou le « pédu-scrit » (en football ou à ski), toujours unique, peut advenir. Il y a des coups de sifflet contre les infractions, appelées de manière significative « fautes », parfois des sanctions, comme un « penalty » ou des cartons jaunes et rouges, des « avertissements » et des « excommunications ». Mais c’est dans la mesure où le règlement est suivi que l’opposition peut demeurer pacifique et la violence encadrée et canalisée. Comme avec la Torah. Sans loi, pas de match, pas de liberté vitale. « C’est moi le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude : Tu n’auras pas d’autres dieux face à moi. » (Ex 20,1-3) L’arbitre incarne la loi sans laquelle l’anarchie s’installe. Sans les prescriptions du Seigneur libérateur, le peuple délivré retombe dans l’esclavage. L’histoire d’Israël le montre à chaque page.

Interprétation et discernement

Dans certaines disciplines, l’influence des arbitres sur le résultat final est restreint, tels le volleyball vu le nombre élevé de points marqués, ou le cyclisme où les juges interviennent rarement, à part en cas d’incidents ou de dopage. Par contre, une seule décision du trio arbitral en football peut faire basculer une partie. Et le problème – ou plutôt ce qui rend passionnant l’exercice de cette fonction –, c’est  qu’il n’y a pas « d’objectivité absolue », comme c’est le cas pour les lignes de tennis : soit la balle est en-deçà ou sur la ligne, soit elle est au-delà. Et s’il y a une fois une erreur dans l’un des trois / cinq sets, cela va rarement déterminer le résultat final.

L’art ignatien de l’arbitrage est celui du discernement. Tout est question d’interprétation : le ballon est-il allé à la main, ou le bras vers la balle ? La poussée coupable s’est-elle produite en dehors ou à l’intérieur des seize mètres ? La fameuse VAR (Video Assistance Referee), introduite depuis la Coupe du monde de 2018 en Russie, ne résout d’ailleurs rien. L’arbitre a beau regarder dix fois la même scène, il lui est extrêmement difficile de déterminer si l’intention du joueur était punissable ou non. et devant le même événement, sur dix directeurs de jeu, quatre décrètent le coup de pied de réparation et six indiquent le dégagement du gardien aux six mètres.

C’est d’une fonction éminemment herméneutique (à la Paul Ricœur) que sont investis l’arbitre principal et ses deux acolytes. Par exemple, dans la règle du hors-jeu si complexe qu’elle a profondément évolué ces dernières années, à plusieurs reprises même, le principe demeure toujours identique, à savoir que la situation doit être évaluée au moment du départ de la passe : le joueur est déclaré en position de hors-jeu s’il se trouve plus proche de la ligne de fond adverse que l’avant-dernier défenseur, dans la partie de terrain de l’équipe défendante. Mais c’est désormais aux juges de ligne de déterminer si l’attaquant incriminé participe volontairement ou non à l’action et s’il se trouve dans l’axe de l’action ou non. Lorsque les ralentis de la télévision nous tracent une ligne (fictive) de hors-jeu, sur laquelle chacun des juges de touche doit se maintenir – en restant donc constamment en mouvement –, cela ne suffit donc évidemment pas pour établir si le joueur en question doit être signalé en position fautive. Le linesman ne doit lever son drapeau que si l’attaquant concerné est estimé par le trio prendre véritablement part à la phase de jeu. Il doit même dorénavant attendre l’effet de la passe pour notifier sa décision, ce qui explique pourquoi, dans certains cas, l’assistant brandit son fanion avec apparemment un temps de retard. Et tout cela doit se juger en quelques fractions de seconde !

Heureusement que la plupart du temps, dans la vie, le discernement peut s’opérer dans la durée et mettre en œuvre des critères à soupeser avec prudence et patience. Mais parfois, certaines décisions requièrent une réactivité aussi rapide que celle de l’arbitrage, notamment quand il s’agit de répliquer dans une conversation.

« Humilié, il n’ouvre pas la bouche »

L’arbitre peut se tromper – évidemment – mais il peut en prendre conscience et le reconnaître. Il décrète alors une « balle d’arbitre », en une attitude dont tous les parents et éducateurs peuvent s’inspirer. Reste que parfois, l’arbitre se rend compte après coup de son erreur – il ne peut revenir en arrière et il n’a pas intérêt à chercher à la compenser, ou alors la foule et les membres d’une équipe se déchaînent contre lui à cause de l’une de ses décisions-limites –, alors même que le ralenti lui donne raison. Dans ce contexte, nous constatons que l’arbitrage constitue une impitoyable école de justice : même si le cœur profond du directeur de jeu le travaille, après une décision énoncée, rien de pire que de chercher à calmer les esprits en pratiquant de la compensation vingt-cinq minutes plus tard.

L’une des clés, sur la pelouse comme au quotidien, par exemple dans des postes à responsabilités, c’est d’adopter une ligne claire et de s’y tenir sans en dévier, de la première à la dernière minute, du premier au dernier jour de la fonction. Certes, les années s’accumulant, le style d’intervention peut évoluer. Mais au sein d’une même partie ou avec les mêmes destinataires, il s’agit vraiment de conserver le même cap. L’arbitre ressemble dans ce cas, je l’ai expérimenté dans ma propre chair – toutes proportions salvifiques gardées –, au « serviteur souffrant » des chants du 3ème Isaïe. Humilié, il ne peut ouvrir la bouche (cf. Is 53,7). Insulté, il ne peut aller s’expliquer au micro de l’enceinte. Et c’est ensuite la déferlante sur les réseaux sociaux, jusqu’à des menaces de mort…

  

Ni pire ni meilleur : un lien d’humanisation

Le sport joue ainsi un rôle de « catharsis », et l’arbitre, celui de « bouc émissaire » sur lequel se déverse la haine de tout un continent ou un pays. De fait, il sert de « révélateur » au sens photographique du terme. D’abord, parce que « dis-moi comment tu agis sur le terrain ou te comportes dans les tribunes du stade, et je te dirai qui tu es ». Les mauvais perdants le sont aussi dans les situations-limites de l’existence où leur carapace sociale vole en éclats.

Puis, parce que l’argent-roi, la « starification » idolâtrique, le fanatisme des hooligans, le populisme des supporters, les insultes racistes, la violence débridée, le dopage, la tricherie dans le registre sportif ne font que manifester de façon exacerbée les mêmes phénomènes et dérives que celles qui marquent notre société : le sport n’apparaît donc comme ni pire, ni meilleur que le reste des réalités postmodernes.

À cet égard, l’arbitre concrétise à sa façon ce qui vaut pour tout chrétien·ne : il·elle est dans le jeu sans être du jeu, sans être corrompu·e ou tricheur·euse, espérons-le ! Il·elle est dans le monde sans être du monde. C’est de l’intérieur, comme une mesure de levain dans la pâte, qu’il·elle peut faire valoir les droits du fairplay. Cela requiert de lui·elle cette autre vertu évangélique particulièrement valorisée dans les discours apocalyptiques des Écritures et dans les périodes de fin et de début d’année liturgique, qu’est la vigilance : cette capacité de ne jamais perdre de vue l’action en cours, sous peine de causer une catastrophe à cause d’un hors-jeu oublié, cette attention perpétuelle qu’exercent les parents d’un bambin et que le Christ exige de nous, chaque jour, nous qui « ne connaissons ni le jour ni l’heure » (cf. Mc 13,35).

Se transcender

Le lutteur Paul emploie l’une des plus belles métaphores sportives de l’Écriture (1 Co 9,24-27). Puisque la vie est un perpétuel combat spirituel, il s’agit de ne pas lutter ni de « courir en vain »  (Ph 2,16). Alors que des jeunes sont prêts à s’entraîner quatre à cinq fois par semaine, à combien plus forte raison notre ascèse (askèsis, en grec entraînement) spirituelle nous conduit-elle à tout mettre en œuvre pour être aptes à nous dépasser au moment favorable. Et ce vers quoi nous tendons, c’est bien plus qu’une récompense bien vite fanée – qui se souvient encore de la plupart des champions olympiques ? – c’est pour recevoir la couronne de gloire qui ne flétrira pas. à l’exemple des saints auréolés ou de Marie de l’Assomption : tous des « Stéphane » (stephanos, couronne). C’est en se faisant faible avec les joueurs vulnérables pour les protéger, et fort avec les athlètes puissants pour les canaliser, que l’arbitre « paulinien » agit pour la cause de l’Évangile (1 Co 9,19-23).

Une spiritualité prometteuse, valable pour tou·te·s (vive le football et les arbitres féminin·e·s !), qu’il·elle soit gardien, défenseur, milieu de terrain, attaquant ou juge de ligne. Pour qu’il·elle mette ses charismes au service de l’ensemble qu’est l’équipe, au profit du tout qu’est l’Église, en cet équilibre corps – âme-cœur – esprit que procure le sport. Pourvu qu’il donne le meilleur de lui-même : tel est d’ailleurs le titre du beau document du Dicastère pour les laïcs, la famille et la vie, Les défis du sport à la lumière de l’Évangile, La Documentation catholique, Rome, 18 janvier 2019.

Nous comprenons dès lors pourquoi, au long de l’histoire, des ecclésiastiques ont fondé des clubs sportifs (l’abbé Deschamps à Auxerre, l’abbé Freeley à Fribourg) et ont attribué aux disciplines athlétiques une place de choix dans l’éducation. Saint Jean Bosco, aumônier des jeunes dans la banlieue de Turin au milieu du 19ème siècle, était persuadé que le jeu et le mouvement sportif contribuent puissamment au développement global de la personnalité des enfants, à l’humanisation de leur existence et à la croissance en eux des vertus cardinales de modération, justice, prudence et force.

Le pontife actuel s’inscrit dans la même ligne, en prônant les activités ludiques et sportives comme part d’une éducation « qui s’adresse à la tête, au cœur et aux mains, ou à ce que l’on pense, ressent et fait ». Avec la formation contemporaine, trop associée à la technique et à la science intellectuelle, « il n’y a pas d’humanisme, et là où il n’y a pas d’humanisme, le Christ ne peut entrer » (Discours du pape François aux participants au Congrès mondial sur « L’éducation aujourd’hui et demain : une passion renouvelée », 21 novembre 2015).

C’est à l’harmonie entre les différentes dimensions de son être que la personne est conduite grâce aux disciplines sportives, non seulement de haute compétition, mais aussi plus légères et plus fun, comme y aspirent les jeunes d’aujourd’hui. Ainsi considéré, « le sport est l’un des contextes les plus efficaces dans lesquels les gens peuvent se développer de manière holistique » (Les défis du sport, p. 24). Il conduit à une véritable « formation spirituelle des personnes », ainsi que le grand lutteur saint Jean-Paul II est même allé jusqu’à l’affirmer dans son Discours pour les Championnats du monde d’athlétisme (Rome, 3 septembre 1998).

Où trouver meilleure illustration de l’expression « une foi à transporter les montagnes » (cf. Mt 17,18-20) que dans une équipe qui perd 0-2 à la mi-temps et qui mobilise toutes ses forces collectives pour l’emporter 3-2 après prolongations ? Ou que chez un tennisman qui, après deux sets catastrophiques, puise des énergies insoupçonnées au fond de lui-même et renverse la vapeur en cinq sets ?

Un discret éducateur

Si bien que l’arbitre peut assumer dans cette perspective le rôle d’un discret éducateur. Discret, car les meilleurs directeurs de jeu demeurent indéniablement ceux dont la presse ne parle pas ou que le public ne remarque quasiment pas, qui tels des Jean-Baptiste savent se faire oublier pour que le jeu advienne dans la beauté et la fluidité. Tel un enseignant qui s’efface pour faire grandir ses étudiants et exerce ainsi une véritable autorité (du latin augere, faire croître).

L’arbitre peut contribuer à l’éducation des jeunes joueurs en aidant comme leurs coaches et leurs entraîneurs à ce qu’ils donnent pleine mesure sur le terrain, sans être arrêtés par une faute, grâce à la magnifique loi de l’avantage ; ou encore, notamment lors de matches amicaux ou de tournois, en amenant les rivaux – qui n’en sont pas – à présenter leurs excuses et à se serrer la main en cas d’irrégularités involontaires. Quel plus beau terrain de réhabilitation pour des adolescent·e·s en difficultés que celui de compétitions à la voile ou de sports collectifs ? Quel plus magnifique lieu de gratuité que des rencontres de bienfaisance au profit de nobles causes ? Pour que règne « la joie du sport », une formule que le pape sud-américain ne renierait pas !

 

Pour soutenir L’1Dex

François-Xavier Amherdt est prêtre du diocèse de Sion (Valais – Suisse) depuis 1984. Ancien vice-directeur du séminaire et vicaire épiscopal de son diocèse, il a été dix ans curé-doyen de Sierre et Noës, puis directeur de l’Institut romand de Formation aux Ministères à Fribourg. Depuis 2007, il est professeur francophone de théologie pastorale, pédagogie religieuse et homilétique à l’Université de Fribourg (Suisse). Il est co-responsable du Comité italo-helvétique de la rédaction et directeur-adjoint de Lumen Vitae. Adresse : Université de Fribourg, Miséricorde, 20 Avenue de l’Europe, CH – 1700 Fribourg. Courriel : francois-xavier.amherdt@unifr.ch.

 

3 pensées sur “Dix ans, déjà. Dieu, arbitre des nations

  • 1 mai 2021 à 8 h 40 min
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    Reçu ce message d’un homme politique valaisan :

    « Bravo à François-Xavier. Belle journée à lui et à L’1Dex et au plaisir ».

    Répondre
    • 7 mai 2021 à 23 h 39 min
      Permalink

      L’homme politique valaisan qui a digéré cette salade à l’eau bénite doit être doté d’un estomac à digérer des hosties en fer forgé.

      Répondre
  • 7 mai 2021 à 18 h 08 min
    Permalink

    Aux chiottes l’Arbitre et son sifflet théologien !

    Répondre

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