Saint-Ex illumine la Place Maurice Zermatten à Sion. La critique de Stéphane Riand

« Je demande pardon aux enfants d’avoir dédié ce livre à une grande personne. J’ai une excuse sérieuse: cette grande personne est le meilleur ami que j’ai au monde. … Si toutes ces excuses ne suffisent pas, je veux bien dédier ce livre à l’enfant qu’a été autrefois cette grande personne. »

Dédicace à Léon Werth du Petit Prince

Après avoir côtoyé Homère, Wajdi Mouawad, Cervantès, Shakespeare, Van Gogh et Albert Camus, Stéphane Albelda a choisi Antoine Saint-Exupéry pour illuminer la Place Maurice Zermatten à Sion.

La grande première de la nouvelle production de Nova Malacuria a eu lieu ce 19 août à 21 heures.

Peu avant de pénétrer à l’intérieur de la tente, les Rolling Stones, « I can’t get no satisfaction », ont peut-être fait regretter aux spectateurs présents que le spectacle n’ait pu être organisé en plein air, sur la Place Maurice Zermatten, au pied de Tourbillon et de Valère, dans un lieu extraordinaire bien connu de tous les Sédunois. Mais les aléas météorologiques interdisent hélas cette prise de risque inconsidérée.

Ne craignant ni les tempêtes dans le désert, ni les éclairs des mitrailleuses, ni les vents mauvais d’Afrique, ni les couteaux des Maures, le critique aventureux ose ce que Stéphane Albelda n’a que murmuré : raconter sans les carnets de Saint-Exupéry ce que fut la dernière nuit sur terre de l’auteur du Petit Prince.

Antonio, de Buenos Aires, guéri de Louise et de Consuelo, héros de guerre et écrivain reconnu, avait rencontré dans un train une jeune ambulancière. Sans le dire, ils ne s’oublièrent pas. Et, le dernier soir de juillet de l’année 1944, Bettie, son prénom est ici révélé pour la première fois, qui avait obtenu l’adresse du lieu d’affectation d’Antoine par sa mère, Marie de Saint-Exupéry, s’est rendue en Corse. Elle est entrée dans un bar de l’Île, proche d’une plage, ne sachant pas qu’une gitane avait déjà prédit la disparition en mer de son amoureux le lendemain.

Antoine de Saint-Exupéry rentra au petit matin et risqua l’annulation de sa dernière mission aérienne par son commandant. Il ne dit pas ce que fut sa nuit, ne désirant que voler dans le ciel de la Méditerranée, après avoir survolé Grenoble et Annecy. Au moment où le chasseur allemand l’avait dans son viseur, « Si j’avais su qui était assis dans l’avion, je n’aurais pas tiré. Pas sur cet homme », l’auteur de Pilote de guerre, de Citadelle, de Vol de nuit, prit ce qu’il ne savait pas encore être la dernière décision de sa vie, il épouserait Bettie dans le château de son enfance à Saint-Maurice-de-Rémens. dans l’Ain.

Sa dernière nuit, passée avec elle sous le ciel de la Corse, était déjà inoubliable. Après lui avoir fait l’amour dans une crique, près de Borgo, Antoine emmena sa compagne à l’aéroport de Poretta, d’où il devait décoller le lendemain. Les deux amants s’assirent au milieu de la piste et le père du Petit Prince, souvent taiseux, parla, parla, encore et encore. Bettie, son testament ouvert après la découverte de l’épave en 2004 l’atteste, ne retint que peu de ses paroles, encore toute émue par ses mains sur son corps, par ses caresses sous le vent, par leurs soupirs éternels. Elle ne se souvint que de quelques mots, Buenos Aires, François, son frère, mort très jeune d’une péricardite, Nelly de New York, à qui il avait confié l’original du manuscrit du Petit Prince, le fennec, ce renard des sables apprivoisé par l’écrivain dans le désert.

Bettie dans le document manifestant ses dernières volontés se rappela tardivement ces mots du poète :

« Je me souviens de toi comme d’un foyer clair
Près de qui j’ai vécu des heures, sans rien dire
Pareil aux vieux chasseurs fatigués du grand air
Qui tisonnent tandis que leur chien blanc respire. »

Elle crut jusqu’à sa mort que ce quatrain avait été composé pour elle en ce soir du 31 juillet 1944. Or, Saint-Exupéry les avait composés pour son premier amour Louise de Vilmorin, en 1918, des années avant sa dernière nuit de vie.

Les feuillets de Stéphane Albelda contant la nuit du 31 juillet 1994 ont disparu dans la tempête qui s’engouffra il y a peu entre Valère et Tourbillon et le metteur en scène sédunois n’eut pas le courage de réécrire cette nuit inoubliable qui marqua à jamais le destin de ce poète à l’inspiration farfelue :

« Il est minuit — je me promène
Et j’hésite scandalisé
Quel est ce pâle chimpanzé
Qui danse dans cette fontaine ? »

Stéphane Albelda, après cet orage violent, rentra désespéré chez lui, sur les Hauts de Sion, et décida de limiter la durée de sa pièce à 1 heure et 19 minutes. Il supprima toutes les scènes torrides sur la plage de Borgo et alla jusqu’à respecter les derniers voeux de Bettie, écrits à la plume, un soir de juillet 2004 : « Antoine n’a jamais aimé que moi, qui lui ai permis de s’envoler dans le ciel un soir de juillet en 1944 ».

Bettie avait conservé dans la boîte en or en sus de son testament le papier dactylographié par Antoine de Saint-Exupéry sur une machine à écrire qui l’avait suivi jusqu’en Corse : « Si je suis descendu, je ne regretterai absolument rien. La termitière future m’épouvante. Et je hais leur vertu de robots. Moi, j’étais fait pour être jardinier. »

 

Post Scriptum I : l’auteur a imaginé Bettie et son testament de 2004, qui ne figurent pas dans la pièce de Stéphane Albelda, qui a conservé bien intacts tous les feuillets de son écrit, et qui s’interroge : « mais pourquoi donc ce critique n’a-t-il pas été fidèle à mon texte ? ». La réponse est dans Le Petit Prince à relire dans l’urgence.

Post Scriptum II : Didier Disero est encore meilleure que dans Don Quichotte et la voix d’Elise… ah, la voix d’Elise !

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Saint Exupéry volé au ciel, Place Maurice Zermatten, à Sion, du 19 août au 19 septembre 2021

Stéphane Riand

Licencié en sciences commerciales et industrielles, avocat, notaire, rédacteur en chef de L'1Dex (1dex.ch).

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