La guerre et le voyage de Céline

Liminaire de L’1Dex :

Ambre a choisi Céline, son voyage et sa guerre pour son TM (Travail de Maturité) sous la responsabilité de sa professeure de littérature française Aline Robyr. Un grand merci à elle pour son autorisation de publication de ce travail qui n’a pas reçu l’appui de ChatGPT et qui a obtenu la note maximale de 6. Bonne lecture à tous.

(Par Ambre Riand)

LA GUERRE ET LE VOYAGE DE CÉLINE

« C’est des hommes et d’eux seulement qu’il faut avoir peur, toujours. »[1]

1        Problématique

« Nous regardions les hommes bleus étendus entre les lignes. Nous savions que leur sacrifice avait été vain et que le nôtre, qui allait suivre, le serait également Nous savions qu’il était absurde et criminel de lancer des hommes sur des fils de fer intacts, couvrant des machines qui crachaient des centaines de balles à la minute. Nous savions que d’invisibles mitrailleuses attendaient les cibles que nous serions, dès le parapet franchi, et nous abattraient comme un gibier. »[2]

La guerre hantera Céline jusqu’à son dernier souffle. Après l’avoir vécue dans sa chair et avoir souffert d’importants traumatismes, il ne cessera d’en révéler toutes les sauvageries absurdes dans son œuvre littéraire. Pourtant, durant l’après-guerre, il découvrira avec effroi que les hommes préfèrent satisfaire leurs ambitions, leurs idéaux, et leur appétit de revanche que de soigner cette paix durement gagner.

Qui est donc l’homme qui se cache derrière l’écrivain ? Pour le découvrir, et tenter de comprendre ce personnage paradoxal, nous aborderons dans un premier temps les moments forts de sa jeunesse, les raisons de son engagement militaire, mais également l’épisode de la Grande Guerre où règnent propagande et censure. Par la suite, nous nous intéresserons à ses débuts en tant que médecin, puis en tant qu’écrivain et, pour finir, son exil dû à ses errements.

Puis, dans un deuxième temps, nous évoquerons le parcours rocambolesque du manuscrit Guerre, un texte qui livre de précieuses informations quant au parcours de Céline car il y évoque sa blessure et sa convalescence.

Par la suite, nous présenterons quatre extraits de Guerre, travaillés à partir de deux angles de réflexion. Premièrement, ce court roman contient-il une dénonciation de la guerre ? Puis, peut-on affirmer que Céline utilise l’alliance du tragique et du comique pour appuyer son propos, comme l’évoque Antoine Gallimard ?

Enfin, nous aborderons Voyage au bout de la nuit, première œuvre de l’écrivain, pour effectuer une comparaison de ce texte avec celui de Guerre. Au-delà d’un thème commun, nous nous demanderons si nous pouvons avancer qu’il y a aussi une écriture similaire. Puis, notre parcous analytique partira en quête des procédés littéraires identiques ou dissemblables.  Et finalement, nous nous demanderons s’il s’agit là de deux romans phénoménologiques.

2        Louis Ferdinand Destouches[3]

2.1       Enfance et adolescence 

Louis Ferdinand Destouches, fils de Fernand Destouches et de Marguerite Guillou, naît le 27 mai 1894 à Courbevoie, alors que l’affaire Dreyfus agite toute la France. Le jeune garçon passe la majorité de son temps dans le commerce familial, hyperbolisant par la suite les moments passés dans la petite boutique où il prenait « plus de gifles que de sourires »[4]. Louis n’est certainement pas un enfant martyr mais c’est un enfant qui s’ennuie énormément[5]. Toutefois, sa grand-mère, Céline Guillou, le sort parfois de sa routine en lui ouvrant la porte de l’art, notamment en l’emmenant au cinéma.

La mort de cette dernière, lorsque Louis a 10 ans, permet à la famille Destouches de connaître une relative aisance financière et donc d’inscrire leur fils dans une école religieuse. Marguerite et Fernand Destouches rêvent de faire briller leur enfant dans la haute société et, afin de remplir cet objectif, l’envoient en Allemagne et en Angleterre, de 1907 à 1910. À son retour, Louis parle trois langues, travaille dans des bijouteries mais dépense tout son salaire dans des livres qu’il dévore durant la nuit.

 

2.2       Carrière militaire

2.2.1      Les débuts

Louis Ferdinand Destouches signe son engagement volontaire le 28 septembre 1912, à l’âge de 18 ans. L’histoire des cuirassiers de Reichshoffen lui a en effet paru « être quelque chose de brillant »[6]. En août 1870, durant la guerre franco-prussienne, la France subit une grave défaite à Reichshoffen. Deux charges stupides mèneront à l’extermination de milliers de combattants français. Malgré ces lourdes pertes, la France romantise cet épisode et propage une image idéalisée de la guerre où de courageux soldats sauvent leur patrie.

Depuis cette humiliation, les Français désirent prendre leur revanche. Une propagande militaire est donc mise en scène afin de montrer une image héroïque de batailles qui ont pourtant été dévastatrices. Les jeunes patriotes se laissent ainsi convaincre, comme Louis Destouches, pour qui se rendre à l’armée signifie devenir un homme. Le fantasme d’une vie héroïque anime le jeune homme mais c’est également pour le charme de l’uniforme militaire qu’il s’engage[7]. Malheureusement la vie militaire est à l’antithèse de la sienne. C’est une existence qui se résume à une obéissance qui le répugne et à un partage d’espaces communs avec des individus qui pensent que « réfléchir, c’est commencer à désobéir »[8] comme le vieil adage militaire l’affirme. Cette vie étroite ne peut satisfaire ce jeune garçon polyglotte cultivé et moqueur.

Très rapidement après son arrivée au 12ème régiment des cuirassiers, à Rambouillet, Louis Destouches comprend que ce petit monde n’est pas celui dont il avait rêvé. Après seulement une année de service, il écrit à ses parents :« […] Je commençais sérieusement à envisager la désertion qui devenait la seule échappatoire de ce calvaire »[9] . Il n’était pas préparé à rencontrer et côtoyer des hommes sales et grossiers. Par ailleurs, ses parents l’espionnent et demandent des nouvelles de leurs fils à des membres du même régiment que ce dernier, n’aidant pas la cause du jeune combattant. Le cavalier Servat, qui converse régulièrement avec Fernand et Marguerite Destouches, trouve le père trop indulgent et la mère trop douce. De plus, Louis se découvre une phobie des chevaux et échoue à son brevet d’aptitude militaire mais s’obstine dans une carrière qui ne lui permet pas de s’épanouir pleinement.

Finalement, ces deux premières années au sein de l’armée sont d’un immense ennui pour Louis. Il gâche son talent et perd son temps dans un milieu qu’il juge bruyant, odorant et empli de bêtises, comme Céline l’explicitera dans son roman inachevé, Casse-Pipe.

2.2.2      La Grande Guerre

Louis Ferdinand Destouches fête ses 20 ans lorsque l’archiduc François-Ferdinand est assassiné à Sarajevo, le 28 juin 1914, par un terroriste serbe. Un mois plus tard, la France déclare la guerre à l’Allemagne. Malgré deux années difficiles pour le jeune soldat, il s’enthousiasme maintenant face au conflit qui s’annonce. En effet, il y voit l’opportunité de s’illustrer. Cet héroïsme théâtral transparaît lorsqu’il écrit à ses parents[10] : « Quant à moi je ferai mon devoir jusqu’au bout et si par fatalité je ne devais pas en revenir… soyez persuadé pour atténuer votre souffrance que je meurs content, et en vous remerciant du fond du cœur »[11]. Il ne se détachera que plus tard de cette envie de gloire militaire. Le jeune Louis Destouches possédait l’esprit belliqueux que Céline critiquera tant durant toute sa carrière d’écrivain.

Durant le court laps de temps qu’il passe au front, ses parents reçoivent presque quotidiennement des lettres de leur fils. Le 1er août, il écrit à ses parents : « Jamais je n’ai eu meilleur moral. »[12]. Cependant, cet enthousiasme sera de courte durée. Le 15 septembre déjà, il déchante : « J’espère et nous espérons tous voir la fin prochaine de cette tuerie effroyable où la vie humaine ne pèse pas lourd dans la grande balance »[13]. Au fil des semaines, il prend conscience que la victoire annoncée est loin d’être acquise. En effet, le régiment manque de se faire encercler par l’armée allemande lorsqu’il se dirige vers le Sud en septembre.

Le 27 octobre, Louis Ferdinand Destouches se porte volontaire afin de remplir une mission qui paraît si périlleuse que les agents de liaisons eux-mêmes se montrent hésitants. Malgré la grande difficulté de celle-ci, il porte les ordres au régiment voisin. Revenant de ce périple avec une grave blessure à son épaule droite, hospitalisé, il est éloigné du champ de bataille jusqu’à la fin de la Grande Guerre. Par cet acte courageux, il devient un héros de guerre et reçoit une médaille militaire. Hélas, malgré les honneurs, ce n’est plus le même homme. Il a « attrapé la guerre dans sa tête »[14] comme il l’explique dans Guerre. Après son retour du front, il cauchemarde toutes les nuits, ne dort pas plus de deux heures d’affilés et refuse toute dose de morphine qui pourrait le soulager. En d’autres termes, Louis Destouches revient traumatisé de cette guerre peuplée de « fous héroïques »[15].

2.2.3      Propagande et censure durant la Première Guerre mondiale

Céline n’est pas le seul homme à avoir été influencé par une propagande efficace, qui l’a poussé à s’engager dans l’armée.

La propagande se poursuit pendant le conflit, par le biais d’affiches, de discours ou encore de films[16]. Les différents États qui prennent part à la Grande Guerre occultent ainsi une réalité qui semble trop brutale pour leur population, en censurant ou en minimisant la gravité de certains événements[17]. Pour ne parler que du cas de la France, le gouvernement encourage l’esprit combatif de sa nation en lui cachant la réalité, en dissimulant les défaites françaises comme les lourdes pertes humaines et en extrapolant sur les revers que subit l’armée allemande[18].   

L’État contrôle de manière stricte le flux d’informations pouvant être utilisées par les médias. Le 2 août, Adolphe Messimy, ministre de la Guerre, fait un « appel au patriotisme des divers organes de presse »[19]. En d’autres termes, il faut s’abstenir de publier des renseignements concernant les armées qui ne proviennent ni de publications officielles, ni de communiqués de l’autorité. De plus, le 5 août 1914, une nouvelle loi instaure l’autorisation de la censure. Il devient alors interdit de publier « des indiscrétions de presse » ou« toute information ou article concernant les opérations militaires ou diplomatiques de nature à favoriser l’ennemi », ce qui pourrait alors« déstabiliser l’esprit de l’armée et de la population »[20].

La propagande officielle sert donc à dissimuler les défaites comme les lourdes pertes humaines[21] , dans l’objectif notamment d’influencer pour des pays neutres, tels les États-Unis[22].

La presse devient alors un outil particulièrement efficace afin de manipuler un public de plus en plus élargi [23], même si les affiches restent un moyen puissant pour toucher toutes les classes sociales.

Affiche 1 : Faivre, A. (1915). Pour la France versez votre or. L’Or Combat Pour La Victoire. [Illustration]. Musée de l’Armée. https://www.musee-armee.fr/fileadmin/user_upload/Documents/Support-Visite-Fiches-Objets/Fiches-1914-1918/MA_fiche-objet-affiche-france-or.pdf

Par sa composition simple, l’affiche d’Abel Faivre illustre clairement nos propos.

La Grande Guerre a engendré d’importants problèmes financiers pour les nations prenant part au conflit, dont notamment la France. Le montant total des dépenses militaires françaises s’élèvera à 25 milliards à la fin de la Première Guerre mondiale. Ce coût s’explique par le fait que l’état-major pensait à tort que cette guerre serait courte et se solderait par une victoire. La France n’était donc pas préparée sur le plan financier. Afin de faire face à de lourdes dépenses, elle a dû par conséquent avoir recours à des emprunts perpétuels. Pour convaincre les Français, le gouvernement a donc créé des affiches, comme celle d’Abel Faivre. S’appuyant sur la symbolique du Coq gaulois, cette affiche joue habilement sur les sentiments patriotiques de la nation française[24].

2.3       Passage à Londres et au Cameroun

Après un séjour à Londres, en 1915, où il travaille au sein du Consulat général de France, Louis Destouches embarque en mai 1916 pour le Cameroun, ancien territoire allemand, désormais aux mains de la France et de la Grande-Bretagne.

Là-bas, il est envoyé dans des villages. Son rôle est de commercer avec les indigènes, généralement par le troc. Sa vie africaine lui permet de vaquer à des activités qui lui correspondent mieux, comme l’écriture et la lecture. Il échange de nombreuses lettres avec ses parents mais aussi avec son amie, Simone Saintu. Au Cameroun, il expérimente la médecine pour la première fois. En effet, confronté à des conditions climatiques et hygiéniques déplorables, il demande à ses parents une multitude de produits pharmaceutiques. Malheureusement, sa vie se péjore rapidement par la faute de crises de dysenterie, qui lui imposent de revenir plus tôt que prévu en France.

2.4       La voie de la médecine

À son retour, Louis Ferdinand Destouches, démobilisé, n’a que de vagues ambitions. Toutefois, une chose est claire pour lui : il refuse de suivre le même chemin que son père, c’est-à-dire devenir un employé de bureau.

Il postule donc à la Fondation Rockefeller afin de travailler en tant que propagandiste. Cette importante entreprise, créée en 1913, étudie la tuberculose. Louis y travaille jusqu’en novembre 1918, avant de se détacher de la Fondation et passer son baccalauréat en juillet 1919. Il obtient le droit d’exercer la médecine en 1923.

Louis porte un grand intérêt à la recherche scientifique et, grâce à ses relations au sein de la Fondation Rockefeller, obtient une place en tant que médecin à la Section d’Hygiène de la Société des Nations à Genève. Cette expérience marque viscéralement le jeune homme. Il est essentiel de souligner qu’une nouvelle réalité s’ouvre devant ses yeux, à cette période de sa vie. Lorsque Louis Ferdinand Destouches n’a que 20 ans, il est prêt à mourir pour son pays, mais, au sein de la S.D.N., il rencontre des hommes qui ont comme volonté première de satisfaire leur propre intérêt[25]. L’après-guerre est donc brutal et à cela s’ajoute une rancœur sourde. Au contact des Juifs, le jeune homme constate ce qui les sépare, malgré le fait qu’il puisse s’entendre avec certains d’entre eux.

Comme François Gibault l’expose dans sa biographie de Céline « l’expérience genevoise n’est pas la seule origine de son antisémitisme »[26]. Ce séjour a déterré quelque chose de profondément enfoui chez le jeune homme. En effet, il faut souligner que Louis Ferdinand Destouches est né dans une France antisémite, bouleversée par l’Affaire Dreyfus. Il a été élevé « à une époque où une bonne moitié de la France estimait que le capitaine Dreyfus devait finir ses jours au bagne, moins parce qu’il était coupable que parce qu’il était “juif“ »[27]. De plus, sa famille elle-même s’ancre dans l’antisémitisme. Céline affirmera d’ailleurs à Robert Poulet que son père l’ « a trop étourdi de grands discours au moment de l’Affaire Dreyfus. »[28].

2.5        Le Voyage de Céline

Dès son enfance, Louis Ferdinand Destouches manifeste une envie d’écrire. Il rédige de nombreuses lettres à ses parents lors de ses séjours outre-mer et, durant son séjour au Cameroun, il écrit ses deux premiers poèmes, qu’il envoie par la suite à Simone Saintu et à sa famille.

Quant à Voyage au bout de la nuit, cette première œuvre n’a pas été écrite sur le coup d’une subite inspiration. Ce projet germait dans l’esprit de Céline depuis longtemps. L’Église, pièce de théâtre écrite en 1926, où apparaît pour la première fois le personnage de Bardamu, peut être considérée comme une première ébauche de la réflexion de l’auteur sur ce thème. En conséquence, Voyage au bout de la nuit n’a certainement pas été rédigé avant cette date.

Le processus d’écriture a donc été très rapide car, avant d’être romancier, Louis est médecin. Il exerce durant la journée et travaille la nuit pour terminer son manuscrit. Après l’avoir fait discrètement dactylographier, il présente son texte à des maisons d’édition telles que Gallimard et Denoël. Gallimard n’accepte que tardivement le manuscrit, Denoël réagit plus rapidement. Louis Destouches s’engage donc avec Denoël, qui avoue « un coup de foudre »[29]. C’est durant l’année 1932 que l’écrivain Céline voit le jour. Louis choisit le prénom de sa grand-mère maternelle comme pseudonyme, en hommage à celle qu’il a tant aimée durant son enfance.

Voyage au bout de la nuit sera l’événement littéraire et le phénomène médiatique de son époque. La modernité de ce texte réside dans le fait « d’introduire l’émotion du langage parlé dans l’écrit »[30]. Ce n’est pas le langage cru de Céline qui crée la dimension révolutionnaire de son œuvre mais bien son style unique, dénoncé par ailleurs pour sa vulgarité. Paul Valéry qualifie notamment Voyage au bout de la nuit de « chef d’œuvre criminel »[31].

2.6       Le scandale de Mort à Crédit

À partir d’août 1933, l’écrivain s’isole afin de travailler sur son deuxième roman, Mort à crédit, ne se préoccupant que fort peu des critiques acerbes sur sa pièce de théâtre, L’Église.

Mort à crédit paraît en mai 1936 et fait scandale dès sa sortie. Il semble trop audacieux pour la société policée de l’époque. Même Lucien Descaves, qui l’avait furieusement défendu durant le prix Goncourt que Céline n’obtient pas alors que le prix semble lui être destiné, reste a silencieux face à ce deuxième roman expérimental. Alain Laubreaux, journaliste et écrivain, s’interroge par ailleurs dans la Dépêche de Toulouse, « Pourquoi […] Céline s’obstine-t-il à se servir d’un style exécrable et qui, malgré son aspect de révolte et de libération, est, au fond, rempli de procédés bassement littéraires ?»[32]. Face à de telles critiques, Céline semble se décourager. Pour preuve, s’il commence l’écriture de Casse-pipe en 1936, il ne l’achève pas.

2.7       Bagatelles pour un massacre

Peu à peu, l’écrivain délaisse sa place de médecin au dispensaire de Clichy et entreprend l’écriture de Bagatelles pour un massacre. L’écriture de ce second pamphlet est « fiévreuse, rageuse, désordonnée, sans mesure ni prudence »[33].

Il n’a pas eu besoin de réfléchir longuement à ce texte, il l’écrit d’un seul jet et puis le publie. C’est une véritable déclaration de haine envers les Juifs, les communistes et les francs-maçons qu’il offre au public français, qui voit au même moment la montée du fascisme.

2.8       L’exil[34]

Après le débarquement des Américains en France, Céline et Lucette décident de fuir précipitamment le pays, conscients d’être désormais considérés comme des traîtres. En effet, L’écrivain a réédité ses deux premiers pamphlets antisémites sous l’Occupation et en un publié un troisième en 1941, Les Beaux Draps[35]. Il apporte également son soutien à Doriot, homme politique collaborationniste. De plus, il est probable que Céline s’est adonné à des dénonciations par des lettres privées, mais aussi par des dénonciations publiques.

Ils patientent durant 2 mois à Baden-Baden afin d’obtenir un visa pour le Danemark. Après cette longue attente, ils partent vers une capitale en ruine, Berlin. Par la suite, ils se réfugient au château de Sigmaringen, où de nombreux membres du gouvernement de Vichy se sont exilés. Céline devient le médecin de cette colonie français, et ce jusqu’en mars 1945, date à laquelle ils peuvent enfin se rendre au Danemark.

Malgré une vie plus paisible qu’à Paris, Céline vit dans la peur. En effet, un mandat d’arrêt est lancé contre l’écrivain, inculpé pour trahison par son pays. Après qu’un quotidien danois révèle qu’un « nazi français se cache à Copenhague », le chef de la délégation française au Danemark vient un soir de décembre arrêter le couple. Céline, dont la santé s’aggrave de jour en jour, est enfermé dans une prison danoise durant 14 mois. En février 1947, l’écrivain est transporté dans un hôpital et en juin son mandat d’arrêt est levé.

En février 1950 s’ouvre le procès de Céline. On lui reproche d’avoir écrit un manuscrit antisémite durant l’Occupation et d’avoir accepté la réimpression d’un pamphlet antisémite. Il est condamné à 1 an de prison, peine déjà purgée au Danemark, et à 50’000 francs d’amende. Grâce à son avocat, Céline obtient l’amnistie car un article de loi l’accorde aux grands invalides de guerre, condamnés à moins de 3 ans de prison, et qui n’ont pas été reconnus coupables de dénonciation ou de déportation.

2.9       Le retour en France

L’auteur de Voyage au bout de la nuit arrive à Nice en 1951 et signe rapidement un nouveau contrat avec Gallimard afin de poursuivre sa carrière littéraire.

Le couple s’installe à Meudon. Là-bas, Lucette et Louis vivent une vie marquée par la routine. Elle ouvre un cours de danse et lui exerce en tant que médecin, tout en poursuivant ses activités d’écrivain. Cependant, Céline vit dans une grande désillusion.

Son retour n’est pas celui qu’il espérait. Après son long exil danois, il rêvait d’une France perdue, d’une France qui l’accueillerait à bras ouvert. La réalité est plus cruelle et l’écrivain ne sort que très peu de chez lui, par peur des pierres qu’on pouvait lui jeter ou des insultes[36] qu’on lui criait au visage. Louis Ferdinand Destouches, dit Céline, s’éteindra le 1er juillet 1961dans son petit pavillon de Meudon.

Durant ses dernières années, il ne cessera de dénoncer le vol de certains de ses manuscrits, abandonnés dans son appartement parisien lors de sa fuite précipitée. Ces derniers seront retrouvés en juin 2020. Un ancien journaliste de Libération avertit les légataires universels de Lucette Almansor, François Gibault et Véronique Robert-Chovin, qu’il détient des textes inédits de Céline.

3        Le parcours du manuscrit Guerre

3.1       L’appartement de la rue Girardon à Montmartre

Jusqu’à sa mort, Céline s’indigne du vol de ses manuscrits. Le jour de sa fuite, en 1944, il quitte son appartement de la rue Girardon à Montmartre, sans savoir qu’il n’y reviendra jamais. S’il confie certains de ses manuscrits lors de son départ précipité, notamment la suite de Guignol’s Band, à sa secrétaire, Marie Caravaggio[37], des milliers de feuillets restent dans son logis, au-dessus de la grande armoire du salon.

Sur la butte de Montmartre, le jour de la Libération, les résistants font défiler les collaborateurs et fouillent leurs logements. C’est dans ce contexte que l’appartement de Céline aurait été inspecté en août 1944 par un certain Oscar Rosembly, qui aurait volé ses manuscrits. En effet, il écrit à Henri Mahé le 26 mai 1949 que c’est bien « Oscar Rosembly, juif corse, qui volait les chaussures à Popol, et qui est venu après mon départ ravager mon appartement. »[38].

Émile Brami, biographe reconnu de Céline, enquête et parvient à contacter la fille de Rosembly, Marie-Luce. Elle lui explique qu’elle conserve les archives de son père dans sa maison et mentionne Casse-pipe et La Volonté du Roi Krogodl. Lorsqu’il lui demande de voir lesdites archives, « elle a tout d’abord semblé accepter, avant de se rétracter au dernier moment »[39],  refusant toute rencontre. La plupart des biographes de l’écrivain, tels que Henri Godard ou François Gibault, semblent valider cette théorie[40].

Cependant, en août 2021, Le Monde annonce qu’un ancien journaliste du quotidien Libération possède une malle remplie des manuscrits disparus de Céline[41]. Cette information fait l’effet d’une bombe dans le monde littéraire français, dans la mesure où ces écrits perdus étaient légendaires pour les chercheurs céliniens[42].

3.2       Jean-Pierre Thibaudat et son trésor

Jean-Pierre Thibaudatrévèle le parcours hors du commun des manuscrits dans plusieurs articles, publiés sur Médiapart en août 2022, trois mois après la parution de Guerre. Non seulement il dévoile la mystérieuse source de ces manuscrits mais il conteste furieusement les théories des biographes au sujet d’Oscar Rosembly.

La découverte rocambolesque de ces écrits commence au début des années 2000. Le journaliste est contacté par un ami, Gilles Karpman, qui lui confie qu’une de ses proches, Caroline Morandat, possède une malle remplie de feuillets d’un célèbre écrivain, Louis Ferdinand Céline[43]. Le père de cette dernière, Yvon Morandat, était un résistant, qui a logé dans l’appartement de Céline à Montmartre, après le départ précipité de ce dernier pour le Danemark, et ce jusqu’en 1946. Céline le soupçonne d’ailleurs durant un certain temps. Pourtant, alors que Morandat se propose de lui restituer les manuscrits qu’il avait protégé durant 2 ans, Céline refuse, sous prétexte que ces feuillets ne sont que des « pelures»[44], des «brouillons»[45].

Jean-Pierre Thibaudat explique ce refus en affirmant que « Céline ne se départira jamais de cette position victimaire qui lui sied » [46]. Yvon Morandat conservera ces manuscrits durant des décennies, dans le grenier de sa maison, à Neuilly. La malle sera découverte en avril 1982 par sa fille Caroline.

Après l’appel de Gilles Karpman, des rencontres ont lieu entre Jean-Pierre Thibaudat et la famille Morandat, qui se concluent par l’accord suivant :

« Personne ne doit gagner de l’argent sur cette affaire,

– le secret doit être gardé afin que nul ne puisse remonter à Yvon Morandat,

– il ne faut pas remettre la caisse à la veuve de l’écrivain, Lucette Destouches, de son vivant par crainte qu’elle ne fasse disparaître certains documents ou empêche des travaux de recherche à partir des manuscrits et documents contenus dans la caisse »[47].

Jean-Pierre Thibaudat gardera donc le secret jusqu’à la mort de Lucette Destouches, en novembre 2019. Durant toutes ces années, il répertorie, classe et décrypte chaque texte. Il parvient finalement à dresser un inventaire des feuillets de la malle, dans lequel nous retrouvons notamment un manuscrit incomplet de La Volonté du roi Krogold, mentionné dans Mort à Crédit, des séquences inédites de Casse-pipe, un roman titré Londres, une version incomplète de Mort à Crédit et un texte, dont manquent les neufs premiers chapitres, Guerre.

En juin 2020, Jean-Pierre Thibaudat rencontre pour la première et dernière fois les ayants droit de Céline, François Gibault et Véronique Chovin. L’ancien journaliste de Libération souhaite verser tous les manuscrits « à un fonds d’archives public, l’IMEC ou la BNF »[48] afin de les mettre à la disposition des chercheurs. Les écrits inédits seront remis aux mains des ayants droit en juillet 2021 et dévoilés aux yeux du grand public en août de la même année. Selon la volonté des ayants droit, les manuscrits seront tous publiés par Gallimard et Guerre est le premier texte annoncé pour le 5 mai 2022.

3.3       L’accueil de Guerre

La France n’a pas oublié les errements passés de l’écrivain. Le 11 janvier 2018, Gallimard annonce la suspension du projet de réédition des pamphlets antisémites de Louis Ferdinand Céline, Bagatelles pour un massacre (1937), L’Ecole des cadavres (1938) et Les Beaux Draps (1941). Alors que certains, à l’instar d’Henri Godard, se montrent favorables à la réédition de ces textes [49], d’autres expriment publiquement leur ferme désaccord. Serge Klarsfeld, président de l’association Fils et filles de déportés juifs de France, déclare, afin de montrer son opposition à ce projet, que cette réédition « est une agression contre les Juifs de France »[50].

Lorsque Céline revient en France dans les années d’après-guerre, son image était peu reluisante. Aujourd’hui, pourtant, s’opère un retour retentissant de l’auteur dans le monde littéraire grâce aux manuscrits révélés en 2021 par l’ancien journaliste de Libération, Jean-Pierre Thibaudat [51]. La découverte de ces manuscrits inédits relève d’un phénomène unique dans la littérature française du 20ème siècle[52], comme le souligne Alban Cerisier.  Cela nous prouve par la même occasion que Céline ne mentait pas sur l’ampleur de sa perte. En effet, les feuillets retrouvés ne représentent certainement pas de simples fonds de tiroir qui peuvent questionner quant à leur valeur de produit fini, comme lors des publications posthumes de Proust en 2019[53].

En octobre 2019, neufs textes rédigés par l’écrivain lorsqu’il avait une vingtaine d’année, ont été publiés sous le nom Le Mystérieux correspondant et autres nouvelles inédites. La plupart de ces écrits sont inachevés et représentent tout au plus des ébauches. Dès lors, nous pouvons nous interroger sur le choix de leur publication. Proust ne les avait-il pas écartés pour une raison valable ? Certes, dans certains cas, les positions abruptes des auteurs ne sont pas toujours pas les bonnes. Kafka voulait que Le château et Le procès soient brûlés, Max Brod s’y est refusé. S’il n’avait pas brisé sa promesse, le monde n’aurait pas pu lire les classiques de l’auteur austro-hongrois[54]. Cependant, dans le cas de Proust, l’édition de ces nouvelles semble être un choix commercial, une occasion de gagner de l’argent sur le dos d’un grand auteur[55], plutôt qu’une envie de mette en valeur leur intérêt dans une anticipation du travail d’A la recherche du temps perdu [56].

Pour Émile Brami, spécialiste de Céline, Guerre représente en revanche une pièce centrale de l’œuvre célinienne[57]. Certes, ce n’est pas un chef d’œuvre, affirme-t-il, mais ce premier jet offre aux lecteurs toutes les qualités de l’écriture de Céline, ainsi que certaines caractéristiques de Voyage au bout de la nuit [58]. Antoine Gallimard décrit Guerre comme un mélange entre le comique et le tragique[59]. La violence est certes au cœur de l’œuvre, mais l’espoir et l’humanité y subsistent encore.

En définitive, Guerre est une pierre brute qui n’a jamais été polie par Céline et qui a peu été travaillée par les correcteurs pour sa publication[60]. L’auteur y déploie une écriture audacieuse, brutale, violente, qui aurait certainement heurté le public de son temps[61], raison pour laquelle l’écrivain a peut-être décidé de ne pas publier ce texte. En effet, la sexualité se trouve au centre de cette œuvre, qui présente une multitude de scènes dérangeantes que la pruderie des années quarante aurait jugées obscènes. Notre société est aujourd’hui davantage capable d’accepter cette écriture spontanée de l’auteur, cette écriture rageuse du premier jet[62], comme l’affirme Pascal Fouché.

4        Analyse par thématiques de Guerre

4.1       Méthodologie

Pour cette première partie analytique, Guerre sera étudié sous l’angle de deux thèmes : la dénonciation de la guerre et l’alliance du tragique et du comique.

Le premier champ d’analyse consiste à démontrer comment, par les choix esthétiques de l’auteur, Céline transcrit et dénonce son expérience de la guerre. L’enjeu principal, la guerre, est donc horrifique. Toutefois, l’écrivain utilise également l’humour pour l’humaniser. En effet, cette alliance entre le tragique et le comique, qu’Antoine Gallimard a évoquée dans un interview pour France culture de la publication de ce nouveau roman, serait essentielle dans cette œuvre.

La méthodologie employée pour traiter ces deux sujets sera d’analyser des extraits provenant du roman Guerre. Ces extraits se trouvent dans les cinquante premières pages du roman. La suite du texte, qui se concentre davantage sur d’autres thèmes, comme celui de la femme ou encore de la sexualité, ne fait que peu de sens dans l’approche que nous entreprenons dans ce travail.

4.2       Dénonciation de la guerre 

4.2.1      Incipit : p.25-26

« J’ai bien dû rester encore une partie de la nuit suivante. Toute l’oreille à gauche était collée par terre avec du sang, la bouche aussi. Entre les deux y avait un bruit immense. J’ai dormi dans ce bruit et puis il a plu, de pluie bien serrée. Kersuzon à côté était tout lourd tendu sous l’eau. J’ai remué un bras vers son corps. Jai touché. L’autre je pouvais plus. Je ne savais pas où il était l’autre bras. Il était monté en l’air très haut, il tourbillonnait dans l’espace et puis il redescendait me tirer sur l’épaule, dans le cru de la viande. Ça me faisait gueuler un bon coup à chaque fois et puis c’était pire. Après j’arrivais à faire moins de bruit, avec mon cri toujours, que l’horreur de boucan qui défonçait la tête, l’intérieur comme un train. Ça ne servait à rien de se révolter. C’est la première fois dans cette mélasse pleine d’obus qui passaient en sifflant que jai dormi, dans tout le bruit qu’on a voulu, sans tout à fait perdre conscience, c’est-à-dire dans l’horreur en somme. Sauf pendant les heures où on m’a opéré, j’ai plus jamais perdu tout à fait conscience. Jai toujours dormi ainsi dans le bruit atroce depuis décembre 14. Jai attrapé la guerre dans ma tête. Elle est enfermée dans ma tête »[63].

Avant de débuter une analyse plus approfondie de l’incipit de Guerre, il nous semble intéressant de relever en premier lieu les cinq fonctions de l’incipit, mises en lumière dans l’ouvrage L’Incipit romanesque d’André Del Lungo. Deux d’entre elles sont variables, l’intention informative et dramatique, et trois d’entre elles sont constantes à tout incipit littéraire, la visée codifiante, thématique et de séduction.

L’enjeu informatif s’inscrit dans la tension entre les dits et les non-dits[64]. L’auteur choisit alors de saturer ou de raréfier les informations qu’il livre à son lecteur[65]. Quant à l’objectif dramatique, il met en marche l’histoire et entre au cœur de l’action. Ce processus se réalise de manière immédiate, comme avec l’incipit in medias res, ou bien de façon retardée[66]. La première fonction constante « relève d’une obligation inévitable : celle (…) de commencer »[67]. Avec la visée de codification, nous justifions « la prise de parole » [68], légitimons le texte[69] et répondons aux attentes du lecteur[70]. L’enjeu thématique, quant à lui, présente le sujet et les thèmes du texte[71]. Enfin, l’intention de séduction est décisive car elle doit donner envie au lecteur de poursuivre sa lecture[72]. Le type d’incipit in medias res s’inscrit d’ailleurs dans cette stratégie de séduction, et ce sera le choix de Céline pour le début de Guerre.

Le lecteur est immergé brusquement dans le cœur de l’action. Il ne connaît ni le contexte, ni le personnage, un soldat. Seul le paratexte Guerre dévoile une information. Ce mécanisme répond ainsi directement à la fonction de séduction. En effet, le public, en recherche de réponses, désire alors poursuivre la lecture du roman. Un exemple frappant de ce procédé est le choix délibéré du déictique « là », très vague, qui plonge le lecteur dans l’incompréhension dès les premières lignes du texte. Le narrateur l’utilise sans donner plus de précisions, comme si le lecteur détenait des informations à ce sujet. Seulement après avoir pris connaissance de la vie de l’auteur, il est possible d’établir que le soldat Destouches se trouvait à Poelkappelle en Belgique, lieu précis où s’est blessé Céline. Dans la continuité de cette réflexion, Céline écrit « la nuit suivante » et ainsi répète le même processus : la temporalité et le lieu reste indéfinis puisque le lecteur ignore ce qui s’est passé la nuit précédente.

Le lecteur ne sait pas qui, ne sait pas où, ne sait pas quand, parce que Céline place le thème de la guerre au centre de tout. Par conséquent, les pensées du lecteur se mélangent avec celles du soldat. Tout comme le combattant blessé est étourdi face à la douleur, le lecteur est étourdi face à un flux d’informations dont il ne saisit pas immédiatement le sens. Il bascule dans la peau d’un homme traumatisé et partage ses pensées et ses tourments. En effet, l’omniprésence du « je » l’engage pleinement dans le mal-être du jeune homme et l’atrocité de la guerre, grâce à un processus d’identification.

Pour accentuer encore cette proximité, qui permet à Céline de dénoncer ce qu’il a vécu durant deux ans au front, le romancier utilise un langage populaire. Le roman contient un vocabulaire familier, comme « mélasse » ou encore« défoncer », cela parce que l’écrivain ne cherche pas à adoucir la réalité avec des mots délicats : il peint avec transparence sa propre réalité. De même, l’utilisation du passé composé (« j’ai touché » ou « j’ai dormi ») ou l’oubli volontaire de la négation (« je pouvais plus »)donne une tonalité orale au texte et accentue donc encore plus la proximité du narrateur avec le lecteur. Leur relation semble davantage intime, mais également brutale.

En effet, le passé composé brise aussi la chaîne causale. Céline use d’un ton incisif. Les événements qui traduisent l’horreur de la guerre sont racontés rapidement, de manière abrupte. Avec un vocabulaire abrupt. Le langage argotique, traduisant dans un premier temps le rapport intime entre le narrateur et son lecteur, sert aussi à peindre l’abomination. Le corps du soldat Destouches est déshumanisé lorsqu’il écrit « dans le cru de la viande ».Avec cette expression, Céline tente de faire comprendre au lecteur l’atrocité de l’expérience de la guerre. Le soldat se retrouve comme un animal sans défense face à la monstruosité de ce premier conflit mondial.  

Cet état physique va de pair avec des sens étourdis, qui entraînent une confusion mentale. Le bruit, composante omniprésente chez Céline, se retrouve initialement à l’extérieur, sous la forme de la pluie. En réalité, c’est son propre cri qu’il entend, un cri qui se transforme en vacarme. C’est la guerre sous tous ses aspects qui s’introduit dans son esprit, comme une maladie incurable qui traduit les traumatismes de la guerre. Lorsque Céline écrit, « j’ai toujours dormi ainsi dans le bruit atroce depuis décembre 14 », Louis Destouches avoue que son expérience de l’horreur l’a marqué à tout jamais. Après sa blessure, le soldat ne ressemble plus au jeune homme qui s’est volontairement engagé dans l’armée. Ses idéaux militaires se sont effondrés et il est désormais condamné à cohabiter avec la guerre et son boucan, jusqu’à la fin de ses jours, comme il l’avoue lui-même, « j’ai attrapé la guerre dans ma tête. Elle est enfermée dans ma tête ».

4.2.2      Les parents de Ferdinand : p.52-53

« On avait dû trouver quand même des papiers militaires dans ma poche puisqu’ils avaient été prévenus. C’est une pensée qui me foutait comme un glaçon dans le milieu du cerveau.

Tout ça n’était pas marrant. Ils sont restés assis bien deux ou trois heures à me regarder revenir. Du coup j’étais plus pressé du tout pour les entendre et comprendre la situation. Et puis ma mère a recommencé à me parler. C’était son privilège de tendresse. J’ai pas répondu. Elle me dégoûtait plus que ça encore. Je l’aurais bien dérouillée elle, à la fin des fins. J’avais mille et cent raisons, pas toutes bien claires mais bien haineuses quand même. J’en avais plein le bide des raisons. Lui il disait pas trop de choses. On aurait dit qu’il se méfiait. Il faisait ses yeux de poisson frit. On y était à la guerre dont il avait toujours parlé, on y était. Ils étaient venus de Paris exprès pour me voir. Ils avaient dû demander un permis au commissaire à Saint-Gaille. Tout de suite ils ont parlé du magasin, des terribles soucis qu’ils avaient, que les affaires n’allaient pas du tout. Je les entendais pas très bien à cause du vacarme d’oreille, mais assez. Ça ne portait pas à l’indulgence. Je les regardais encore. C’était bien des malheureux là au pied de mon lit, et pourtant c’étaient des puceaux.

  • Merde, que j’ai dit finalement, j’ai rien à vous dire, débinez… »[73]

Le personnage, Ferdinand, se trouve depuis maintenant quelques jours dans l’hôpital de Perdu-sur-la-Lys. En effet, après une tentative de désertion collective, le jeune combattant est retrouvé deux jours plus tard et amené à l’hôpital afin de soigner ses blessures. Malgré les tentatives de Ferdinand afin que le personnel de l’hôpital n’apprenne pas son nom, ses parents sont informés et se déplacent pour lui rendre visite. Dans l’extrait proposé, la rupture entre le soldat d’aujourd’hui et son monde d’hier semble évidente :  la société, symbolisée ici par les figures parentales, symboliquement très importantes, ne peut comprendre l’état d’esprit d’un soldat revenant du front. Elle se montre indifférente face à ses souffrances et ne souhaite qu’une chose, qu’il fasse preuve de bravoure et reparte sur le champ de bataille.

Cette rupture est clairement énoncée puisque Ferdinand ne souhaite pas que son nom soit connu. Il espère rester anonyme, loin du monde qui l’entourait autrefois. Cependant, malgré tous les efforts qu’il a fournis, son matricule est retrouvé et ses parents avertis. La volonté d’anonymat de Céline, et sa déception, se lisent clairement dans le « quand même » qui précède la découverte de ses papiers militaires. Comment ne pas comprendre cette volonté de solitude ? Après avoir autant souffert, n’est-il pas normal de vouloir s’extraire de la cruelle réalité de la guerre ? La comparaison « comme un glaçon dans le milieu d’un cerveau » image les sentiments du soldat. Ses sentiments sont gelés, anesthésiés et il est évident que cette rencontre ne pouvait que mal se passer.

La relation entre ces parents et leur fils, dans cet extrait, est exécrable : le fils ressent une immense animosité, accompagnée d’un désir de violence, alors que les parents sont dans l’incompréhension car ils ne saisissent pas les horreurs du front. La guerre a changé Louis, qui se tait, et ils ne savent comment se comporter, ils restent alors indifférents. Le soldat les déshumanise en les réduisant à un simple pronom démonstratif « ça », le père devient un « lui » impersonnel, ce qui traduit l’immense colère du jeune blessé, révélée par l’hyperbole « mille et cent raison ». Il y a dans ce texte une isotopie de la haine, avec des mots comme « dégoûtait », « dérouillée » et « haineuses ».

Cette haine viscérale se justifie lorsque Céline écrit « on y était à la guerre dont il avait toujours parlé, on y était ». Le père parle d’une guerre qu’il ne connaît pas et ne connaîtra jamais alors que pour Ferdinand, cette guerre est bien réelle. La virgule marque une coupure nette entre les deux propositions, entre deux mondes. Leur relation se brise dans ce fossé qui les sépare.

Céline ne parle pas uniquement de ses parents dans cet extrait, mais bien de toute une société qui est indifférente aux souffrances des combattants. Ils endurent la guerre, demandent du repos mais la société souhaite qu’ils reviennent combattre au front, qu’ils fassent preuves de bravoure, qu’ils se sacrifient pour leur patrie.

Les parents ne savent pas comment réagir au traitement de silence que leur fils leur impose. Alors que ce dernier est gravement blessé, « tout de suite » ils évoquent leurs propres problèmes. Cependant, ils sont minimes en comparaison à la réalité de Ferdinand. L’absurde est marqué avec l’utilisation du discours indirect libre : « Ils étaient venus de Paris exprès pour me voir. Ils avaient dû demander un permis au commissaire à Saint-Gaille ». De la bouche d’un soldat revenant du front, cette petite difficulté paraît misérable. Comme le sont les difficultés liées à leur commerce, ces « terribles soucis qu’ils avaient » parce que « les affaires n’allaient pas du tout ». En rapportant les banalités de ses parents, leurs soucis prosaïques, en les soulignant par la répétition, Ferdinand dénonce leur indifférence mais aussi leur incompréhension. Ils ne réalisent pas l’intensité de ce conflit, sa brutalité, et ce d’autant plus que la presse masque les défaites, les pertes. Deux mondes cohabitent dans le pays, d’un côté les soldats bien au fait de la réalité, de l’autre une société abusée par la propagande. Les parents et leur fils n’ont rien à se dire, ils ne peuvent ni s’entendre ni se comprendre, et Ferdinand le dit avec force en évoquant le bruit dans sa tête, ce « vacarme d’oreille » qui ne quittera jamais le soldat tout au long du roman

Cette impossibilité de communiquer est assumée par le blessé, qui qualifie ses parents de « puceaux ». Ils n’ont pas vécu ce qu’il a enduré durant ces quelques mois. Ils ne sont pas directement touchés par les atrocités de la guerre. Pourtant, ce sont eux les « malheureux » qui se plaignent face à leurs petits problèmes du quotidien, alors que lui se tait. La rupture est inévitable, il leur demande de partir.

Il important de noter que cette relation parentale conflictuelle est uniquement liée au personnage, Ferdinand, et non à l’auteur, Céline[74]. La relation qu’entretient l’auteur avec ses parents durant sa convalescence ne semble pas aussi problématique, marquée par une telle virulence et un tel mépris.

4.3       L’alliance du tragique et du comique

4.3.1      Rencontre avec un Anglais : p.31-32

« –     Where are we going ? que je lui dis…

  • À Yprèss ! qu’il me fait.

Yprèss, c’était sûrement le clocher là-bas. C’était donc un vrai, un clocher de ville. Y avait bien encore quatre heures de marche à cloche-pied comme on allait, à travers les sentiers et surtout les champs. Je voyais plus très clair mais je voyais rouge par-dessus. Je m’étais divisé en parties tout le corps. La partie mouillée, la partie qu’était saoule, la partie du bras qu’était atroce, la partie de l’oreille qu’était abominable, la partie de l’amitié pour l’Anglais qu’était bien consolante, la partie du genou qui s’en barrait comme au hasard, la partie du passé déjà qui cherchait, je m’en souviens bien, à s’accrocher au présent et qui pouvait plus – et puis alors l’avenir qui me faisait plus peur que tout le reste, enfin une drôle de partie qui voulait par-dessus les autres me raconter une histoire. C’était plus même du malheur qu’on peut appeler ça, c’était drôle. Après on a fait encore un kilomètre et puis je refuse d’avancer.

  • Où que t’allais ? que je lui demande d’un coup, question de savoir.

Je m’arrête. J’avance plus. C’est pas très loin son Ypres pourtant. Les champs roulaient tout autour de nous, gonflaient en grosses bosses mouvantes comme si des rats énormes soulevaient des mottes en se déplaçant sous les sillons. Peut-être des gens même c’était. C’était gros, une armée qu’on dirait au ras de la terre… Ça remuait comme la mer en vraies vagues… Fallait mieux que je reste assis. Surtout que j’vais avec tous les bruits de la tempête qui me passaient entre les deux oreilles. J’étais plus dans la tête qu’un d’air d’ouragans. Du coup je gueulais très fort.

  • I am not going! I am going to the guerre de mouvement! »[75]

L’extrait débute alors que Ferdinand erre dans la campagne, près du lieu de sa blessure. Il rencontre un homme, portant un uniforme anglais. À la première lecture, cet extrait peut paraître comique. Pourtant, le tragique est bien au cœur de ce passage puisque le soldat semble sérieusement blessé. Nous allons donc voir quels procédés Céline met en place pour créer un effet comique dans un contexte tragique.

Citons en premier lieu l’utilisation de la langue anglaise, qui désacralise totalement la portée du dialogue. En effet, le soldat anglais répond à la question de Ferdinand en français, mais Céline mime son accent oral à l’écrit en écrivant « Yprèss » bien que ce lieu s’écrive « Ypres ».

Nous assistons par la suite à une accumulation de répétitions, avec le mot « partie ». Alors que ces neuf répétitions et les dérivations du sens de ce mot instaurent une ambiance comique, l’atrocité de la guerre est pourtant au centre de l’extrait. Les mots provenant du champ lexical de l’horreur, comme « atroce » et « abominable », traduisent ce conflit entre comique et tragique. L’espoir persiste tout de même grâce à « l’amitié pour l’Anglais qu’était bien consolante ». Alors que le passé, la guerre, s’accroche au présent, la rencontre avec un militaire anglais, le soldat redoute un avenir qu’il n’arrive pas à imaginer. Après avoir combattu au front durant trois mois, il lui est difficile de s’accrocher à un futur incertain, introduit par la formule orale « et puis alors ».

Dans le même ordre d’idée, nous notons que Ferdinand répète par deux fois la même question : « Où que t’allais ? ». Bien que cette répétition puisse déclencher le rire chez le lecteur, il s’agit ici aussi de montrer l’instabilité du soldat. Étant donné sa blessure récente, il est compréhensible de voir naître un comportement incohérent chez un soldat choqué.

Si Ferdinand avance vers Ypres dans un premier temps, il refuse soudain de continuer lorsqu’il observe les champs autour de lui. Céline les décrit de façon réaliste mais comique, les champs sont labourés « comme si des rats énormes soulevaient des mottes en se déplaçant sous les sillons ». Cette définition traduit la fragilité psychique du soldat, qui ne veut pas retrouver son armée et retourner sur le champ de bataille. Ce refus est souligné par le bruit, omniprésent dans le texte, métaphorisé en « tempête » et « ouragan ».

Pourtant, à la fin de l’extrait, Ferdinand change d’avis : « I am not going ! I am going to the guerre de mouvement!». Le mélange de l’anglais et du français, une nouvelle fois, instaure un climat comique dans une ambiance tragique. Ce revirement montre que malgré sa blessure et tout ce qu’il a souffert durant ces trois derniers mois, le soldat souhaite se montrer brave. Il désire accomplir ce qu’on attend de lui en tant que combattant, c’est-à-dire se sacrifier pour son pays. Malgré cela, le militaire anglais ne le laisse pas partir et l’emmène dans une église, transformée en hôpital, afin de le faire soigner.

4.3.2      Le fourgon : p.35-36

«   –      Heu ! Heu ! que j’ai fait comme une vache aussitôt que je me suis réveillé un peu, parce que c’était l’endroit.

Personne a répondu d’abord. On roulait pour ainsi dire pas à pas. Au bout de trois fois, y’en a deux au fond qui m’ont répondu :

  • Heu ! Heu ! c’est un bon cri pour les blessés. C’est le plus facile à dire.

Tchou ! Tchou !au loin, c’était sûrement la machine qui prenait la pente. Mes explosions de mon oreille à moi elles ne me trompaient plus. Tout s’est arrêté au bord d’une rivière qui coulait de la lune puis on a repris en s’ébranlant. C’était tout à fait presque comme à l’aller en somme. Ça me souvenait de Péronne. Je me demandais qui pouvait être encore allongé dans les fourgons en fait de grivetons, si c’étaient des Français ou des Anglais, ou des Belges peut-être.

Avec Heu ! Heu ! ça se comprend de partout, j’ai recommencé.

On a plus répondu. Seulement, ceux qui gémissaient, ils gémissaient plus. Sauf un qui répétait Marie, plutôt avec un accent et puis un glou glou tout près de moi, d’un mec sûrement qui se vidait par la bouche. Je connaissais ce ton-là aussi. J’avais appris en deux mois à peu près tous les bruits de la terre et des hommes. On est restés encore bien deux heures immobiles sur le remblai, en plein froid. Juste le tchou tchou de la locomotive. Et puis une vache qui faisait mheu mheu bien plus fort que moi alors dans un pré devant. J’y ai répondu pour voir. Elle devait avoir faim. On a roulé un peu broum, broum… Toutes les roues, toutes les viandes, toutes les idées de la terre étaient tassées ensemble dans le bruit au fond de ma tête. »[76]

Ce passage montre un fourgon, dans lequel se trouve Ferdinand, en route pour un nouvel hôpital. Quelques jours auparavant, notre héros avait rencontré un soldat anglais, qui l’a empêché de repartir au front. Lorsque Ferdinand s’est évanoui, l’Anglais l’a emmené dans un hôpital de fortune afin de le faire soigner. Malheureusement, un obus a endommagé l’ambulance et il a été décidé d’évacuer les blessés vers un lieu plus sûr. Voilà pourquoi notre soldat se retrouve dans ce fourgon, entouré de blessés graves et de cadavres. Dans ce texte, une nouvelle fois, le tragique et le comique sont tous deux présents et se font oppositions.  

Les onomatopées et les sons, tels que « mheu mheu » ou encore « broum, broum », créent un effet de surprise, qui à son tour crée le comique. Le lecteur voit la scène, entend les bruits, comme s’il était présent. Pourtant, en commençant un livre s’intitulant « Guerre », on ne s’attend pas à du comique. Si nous ne connaissions pas l’homme qu’est Céline, et le style de Céline, cette manière de dire les choses semblerait tout à fait absurde. Or, pour Céline, ce procédé permet de dénoncer la guerre. C’est la guerre qui est absurde et le comique permet de dévoiler son non-sens. Il élabore donc un nouveau style, une nouvelle façon d’écrire, pour dire l’horreur de la guerre de 1914. L’usage d’onomatopées enfantines, comme « glou glou », surtout dans la bouche d’un soldat qui revient du front, a tué des ennemis pour sauver son propre pays, est surprenant et inadapté à la situation. De la même manière, que Ferdinand réponde à une vache montre son instabilité à la suite de son traumatisme.

Le tragique se place ici en arrière-plan. Le lecteur est davantage attiré par les onomatopées enfantines, joyeuses, que par la description du paysage entourant le personnage. En effet, Céline, bien qu’il adopte une façon abrupte d’énoncer les choses, ne révèle qu’à demi-mot l’épouvantable réalité qui l’entoure. Il écrit ainsi que « ceux qui gémissaient, ils gémissaient plus ». La répétition du verbe « gémir » égare le lecteur, qui passe à côté de l’information principale, à savoir que ces soldats sont morts. De même, si Céline fait bien allusion au vacarme constant dans la tête de Ferdinand, comme lorsqu’il cite des « explosions de mon oreille » ou le « bruit au fond de ma tête », nous assistons ici à un concert de sons qui n’ont rien à voir avec la guerre. Aucuns hurlements ou de tirs d’obus, mais des bruits comiques d’animaux ou de véhicules, qui prennent toute la place. Ferdinand l’avoue, « J’avais appris en deux mois à peu près tous les bruits de la terre et des hommes », c’est-à-dire les bruits de la vie, avec les animaux, et les bruits de la mort, avec la guerre. 

Pourquoi Céline utilise-t-il le comique pour moquer la guerre ? Eugène Ionesco nous offre un élément de réponse, 28 ans plus tard, dans son ouvrage intitulé Notes et contre-notes : « le comique étant l’intuition de l’absurde, il me semble plus désespérant que le tragique ». Avec le rire nous désacralisons notre malheur, nous prenons de la distance avec une réalité insupportable.

5        La Guerre et le Voyage

5.1       Méthodologie

Dans la partie précédente, nous avons analysé des extraits de Guerre, sous deux angles de vue différents. Nous allons désormais comparer Guerre avec Voyage au bout de la nuit.

Dans un premier temps, nous allons nous intéresser au style d’écriture de ces deux romans. En effet, Guerre est supposément antérieur au Voyage, puisqu’il est possible qu’il ait été rédigé en 1934. Toutefois, il ne se passe qu’une courte période entre la rédaction de ces deux romans, d’où l’intérêt de les confronter après avoir défini en quoi consiste le style célinien dans le Voyage.

Nous allons ensuite nous attarder sur ce qui les différencie notablement. En effet, avec Guerre, Céline dévoile des scènes obscènes ce qui le distancie radicalement du Voyage.

Enfin, nous nous pencherons sur une similitude fondamentale qui relie les deux textes, à savoir qu’il s’agit là de deux romans phénoménologiques.

5.2       Guerre et Voyage au bout de la nuit

Entre l’épisode en compagnie de Robinson et le passage dans les hôpitaux parisiens, Bardamu s’est blessé, puis a passé un temps en convalescence avant de recevoir une médaille militaire. Cependant, ces événements ne sont que brièvement mentionnés dans le Voyage : « J’étais même en train de m’affranchir par la médaille militaire que j’avais gagnée, la blessure et tout. En convalescence, on me l’avait apporté la médaille, à l’hôpital même. »[77]. Dans Voyage, la guerre se raconte sur une soixantaine de pages seulement, et laisse donc le lecteur face à un grand questionnement : qu’est-il arrivé au personnage durant cette ellipse temporelle ?

Guerre apparaît comme la réponse à cette interrogation, le chaînon manquant de l’histoire, qui permet de mieux comprendre le personnage, Bardamu, mais aussi son auteur. Louis Ferdinand Destouches a ressenti le besoin de raconter sa vérité, son « je »[78], quelques années plus tard, en dévoilant l’épisode personnel de sa blessure et de sa convalescence.

Bien avant la découverte des manuscrits inédits, les chercheurs avaient connaissance du désir profond de Céline d’écrire son œuvre en suivant une matrice précise : Enfance – Guerre – Londres [79]. Pourtant, avec son premier roman, il ne suit pas le triptyque qu’il avait imaginé.  Comme le dit Yves Pagès, écrivain et éditeur français, « son roman l’a débordé »[80]. Peut-être l’écrivain a-t-il aussi compris que la société n’était sûrement pas encore prête à découvrir une réalité cruelle, ce que nous laisse supposer une phrase de Voyage au bout de la nuit : il « s’est passé des choses et encore des choses, qu’il est pas facile de raconter à présent, à cause que ceux d’aujourd’hui ne les comprendraient déjà plus »[81].

5.3       Définition du style célinien dans le Voyage

Avant de définir clairement les similitudes et les dissemblances entre Voyage au bout de la nuit et Guerre, nous devons déterminer la langue célinienne dans le Voyage.

Ce premier roman est au contraire le fruit d’un immense travail d’élaboration[82] et non d’une simple imitation de la langue populaire. Céline s’est acharné sur ce manuscrit, il l’a recommencé, il l’a raturé de multiples fois[83]. À ce sujet, François Gibault, ayant droit de Céline et biographe reconnu de l’auteur, estime que l’écrivain aurait « effectivement rédigé plusieurs versions successives de Voyage »[84]. Avec sa plume audacieuse, Céline a brisé toutes les habitudes de la langue littéraire. L’écrivain dépasse les frontières de la langue, sur le plan syntaxique et lexical[85]. Il invente sa propre « petite musique » en 1932 et pour preuve, si son éditeur exprimait la volonté de rajouter une syllabe à sa partition[86], l’écrivain répondait tout simplement : « Vous foutriez le rythme par terre comme rien – moi seul peut le trouver où il est »[87].

Ce premier ouvrage montre une coexistence entre une écriture innovante et un respect relatif de la langue littéraire. Bien que Céline nomme son style « polémique »[88] ou encore « anti-bourgeois »[89], son écriture « de liberté »[90] reste en effet ancrée dans une certaine tradition. En effet, sa syntaxe est encore empêtrée du français académique et il utilise encore le passé simple ou l’imparfait du subjonctif [91].

5.4       Le travail de l’écriture

Guerre semble avoir le même style d’écriture que Voyage au bout de la nuit. Cependant, le travail de relecture dissocie nettement les deux œuvres.

Avec Guerre, la languesurprend le lecteur par sa violence et son intensité. Cette dissonance peut s’expliquer par le fait que ce manuscrit retrouvé représente certainement un premier jet, ou tout au moins un texte inabouti. Le style « parlé » est une caractéristique indiscutable de cette œuvre, car, d’après Céline, « l’émotion ne se retrouve, et avec énormément de peine, que dans le “parlé“ »[92]. Toutefois, le « parlé » du Voyage se présente d’une manière davantage réfléchie et travaillée.

Avec ces deux romans, Céline cherche à dénoncer un même traumatisme, celui de la Grande Guerre. Cependant, avec Guerre, il y dévoile aussi des expériences plus personnelles, celles de la blessure et de la convalescence. Ces événements, qu’il avait décidé de ne point raconter dans sa première œuvre, sont ici racontés de manière débridée. Le lecteur assiste ainsi à une outrance des sentiments car ce « parlé » est poussé jusque dans ses derniers retranchements :

« Je savais pas quoi penser moi toujours. J’étais pas dans l’état de réfléchir trop fort. Tout de même, en dépit de l’horreur où je me trouvais, ça me tracassait salement, en plus du bruit de tempête que je me promenais. Il avait plus l’air de rester que moi en fin de compte dans cette saloperie d’aventure. »[93]

La première personne du singulier, ce « je » caractéristique de Guerre, ainsi que le pronom personnel « moi », rythment ce passage. Cette outrance du « je » distingue le Voyage de Guerre. Ces deux romans ont certes tous deux recours à la première personne du singulier, cependant Guerre le répète sans cesse. Ce « je » est au centre de toute l’œuvre. On peut comprendre cette singularité puisque ce manuscrit raconte un événement très personnel. Toutefois, il est possible de voir dans cette particularité un signe évident du projet inabouti que représente Guerre.

Le style « parlé » ne se dévoile pas ici grâce à l’utilisation d’un vocabulaire argotique. Il se révèle par le biais de constructions syntaxiques très simples, avec l’omission de la négation, comme par exemple dans « je savais pas » ou bien encore « j’étais pas ».

Dans Voyage au bout de la nuit, comme dans Guerre, notre auteur use en abondance du subordonnant « que », une caractéristique du « parlé » célinien. Ces « écarts syntaxiques »[94], comme Christine Combessie-Savy les nomme, correspondent aux constructions du langage populaire.

« Depuis quatre semaines qu’elle durait, la guerre, on était devenus si fatigués, si malheureux, que j’en avais perdu, à force de fatigue, un peu de ma peur en route. La torture d’être tracassés jour et nuit par ces gens, les gradés, les petits surtout, plus abrutis, plus mesquins et plus haineux encore d’habitude, ça finit par faire hésiter les plus entêtés, à vivre encore. »[95]

Le pronom « je », tout comme le subordonnant « que »[96], caractéristique d’une langue populaire, figure aussi dans cet extrait du Voyage, mais pas de façon aussi abondante que dans Guerre. Plusieurs similitudes existent donc entre ces deux fragments, mais Voyage au bout de la nuit est syntaxiquement plus intéressant que Guerre.

En effet, le Voyage propose de nombreuses juxtapositions qui rythment les phrases, dans un apparent désordre visuel. Ce choix assumé se justifie car il traduit le chaos de la guerre et les troubles du soldat.

Quant à Guerre, la construction syntaxique est plus simple :

« On nous a sûrement transportés dans la gare et puis répartis dans le train. C’étaient des fourgons. Ça sentait encore l’odeur de fumier tout frais. Ça roulait bien doucement. Y avait pas si longtemps qu’on était arrivés pour faire la guerre dans l’autre sens. »[97]

« J’aurais fait marrer tous les copains. Il comprenait rien à ce qui s’était passé avec le Drellière et le convoi. Il voulait avoir l’air de savoir. C’est là qu’il était tout con. »[98]

À l’inverse du Voyage, il n’y a ici que peu de juxtapositions de phrases : Céline reste plus simple et plus direct. Est-ce parce que ce texte est inabouti ou est-ce un choix de l’écrivain ? Cette question est impossible à trancher puisque Céline ne peut plus répondre à nos questions. Toutefois, notons que certains passages de Guerre se rapprochent de Voyage au bout de la   nuit:

« Il est baisé le passé, il se rend, un instant, avec toutes ses couleurs, ses noirs, ses clairs, les gestes mêmes précis des gens, du souvenir tout surpris. C’est un saligaud, toujours saoul d’oubli le passé, un vrai sournois qu’a vomi sur toutes vos vieilles affaires, rangées déjà, empilées c’est-à-dire, dégueulasses, tout au bout râleux des jours, dans votre cercueil à vous-même, mort hypocrite. »[99]

Malgré l’usage commun du même procédé, c’est-à-dire une accumulation créée par les juxtapositions, il est difficile ici de bien comprendre le texte, car Céline a rajouté quinze virgules. En conséquence, le lecteur peine à décoder le propos.

On ne peut entamer une réflexion sur le style de Céline, dans Voyage au bout de la nuit comme dans Guerre, sans parler de la ponctuation. Dans le Voyage, Céline choisit une ponctuation riche et diversifiée. Il utilise notamment le point de suspension pour rythmer des scènes. Pour le romancier, la ponctuation sert en effet à « rendre l’intonation, les émois »[100]. Les points de suspension prolongent donc l’émotion du personnage, comme les nombreux points d’exclamation et d’interrogation, qui se multiplient plus qu’ils ne le devraient[101], ainsi que le démontrent les trois extraits ci-dessous :

« Comme ça on en finirait tout de suite On rentrerait chez soi On repasserait peut-être place Clichy en triomphe Un ou deux seulement qui survivraient Dans mon désir »[102]

« Je n’ai rien perdu de l’affaire ! Je n’en étais pas loin ! Un coup de pointe au cou en avant et à droite ! … Toc ! Le premier tombe !… Une autre pointe en plein poitrine !… À gauche ! Traversez ! Une véritable parade de concours, messieurs !… »[103]

« Et dans quel fossé ? Le long duquel de ces murs ? Ils m’achèveraient peut-être ? D’un coup de couteau ? Ils arrachaient parfois les mains, les yeux et le reste »[104]

Guerre reste en général plus modéré dans l’emploi des différents signes de ponctuation. Est-ce lié au fait que ce manuscrit est un premier jet ou est-ce un choix délibéré ? Il est difficile de le déterminer, pour les raisons évoquées précédemment. Toutefois, il faut souligner tout de même que certains passages de Guerre ont un usage de la ponctuation semblable à celui du Voyage, ce qui pourrait faire pencher plutôt pour la première raison:

         «  –       Tu vois, qu’il a fait après un bon moment, c’est plein d’Anglais !… Je vais écrire ça à Angèle Maintenant que je sors je vais me démerder »[105]

         « Du coup je voulais remonter à la surface du bruit, lui tabasser la poire à la môme L’Espinasse Mais elle me tenait avec le cache, dans son étreinte comme on dit, la vache Des clous pour remonter Je faisais dans ses mains avec toute ma barbaque le battant de la clocheTantôt ici avec ma têteBaoum dans le fond des yeux, bang contre l’oreille. J’ai presque remonté Rouge sur blanc…Elle gagnait encore la salope. »[106]

5.5       L’obscénité

La présence de l’obscénité différencie Voyage de Guerre. En effet, bien que le premier roman de Céline ait souvent recours à un vocabulaire familier, celui-ci ne relève pas de l’obscène. En effet, l’écrivain emploie certes des mots tels que « rouspignolles »[107], « charogne »[108], « baiser »[109] ou encore « peloter »,[110] « dare-dare »[111]et « la gale »[112], mais il ne dépeint aucune scène grossière. Bien qu’il ait recours à l’argot et à d’anciennes expressions imagées, il ne se montre pas aussi vulgaire que dans Guerre, qui décrit les choses de manière très crue : 

« Justement j’avais envie de pisser. Je laisse aller, ça coule de la civière et puis par  terre sur la faïence. Ça elle voit la gonzesse. Elle ouvre d’un coup mon pantalon. Elle me tâte le Roméo. Les mecs sortent pour aller en chercher un autre vaseux. La gonzesse alors elle insiste plus précisement sur mon pantalon. Vous me croirez si vous voulez mais je bandoche. »[113]

« Fallait pas parler fort, les autres faisaient seulement semblant de ronfler. Ils se  branlochaient. Baoum Baoum à l’extérieur à travers la nuit, y avait un canon continu à vingt kilomètres, peut-être plus près. J’y embrassais les bras pour changer. Je lui mettais ses deux doigts dans ma bouche, je lui mettais moi-même l’autre main sur mon zozo. Je voulais qu’elle tienne à moi la garce. Je lui resuçais toute la bouche encore. J’y aurais rentré la langue dans le trou du cul, j’y aurais fait n’importe quoi, bouffé ses règles pour que le mec du conseil de guerre y soye baisé. Mais elle était pas dupe la mignonne. »[114]

Le vocabulaire cru, comme les scènes obscènes, font également écho au caractère cru et obscène de la guerre. Ce langage grossier s’abat brutalement sur le lecteur, sans qu’il puisse s’en extraire, et ainsi la guerre devient un désastre inéluctable, auquel on ne peut échapper en raison de son omniprésence.

Le Voyage, quant à lui, ne heurte pas le lecteur de la même manière, il interpelle mais n’instaure pas de malaise, et on ne peut douter qu’il s’agisse dans ce cas d’une volonté claire de Céline, qui a beaucoup travaillé sur ce texte.

5.6       Le roman phénoménologique

Ce dernier point de comparaison est essentiel pour montrer la parenté qui existe entre Guerre et le Voyage. En effet, bien qu’il existe des différences dans le style d’écriture de ces deux textes, comme démontré ci-dessus, la manière de raconter les événements est identique.

Dans son analyse critique de Voyage au bout de la nuit, Bernard Lalande décrit ce texte comme un roman phénoménologique. Toutefois, l’auteur précise qu’il prend « très modestement le mot phénoménologie dans un sens très simple. »[115].  Par cette appellation, Lalande détermine que le roman s’arrête au phénomène, il se cantonne au visible. Le personnage a un rapport immédiat avec le visible : ce qui arrive, mais aussi ce qu’il pense de ce qui lui arrive. Le métadiscours n’existerait donc pas ou peu dans le Voyage. Le personnage s’arrête uniquement à ce qu’il voit, il ne cherche pas à comprendre ce qui se cache derrière les événements qu’il a vécus au cours de son expérience de la guerre.

L’utilisation constante de la première personne du singulier confirme ces propos. En effet, si le personnage s’arrête au phénomène, le narrateur aurait pu quant à lui amener une réflexion sur les événements survenus. Or le Voyage est traité uniquement avec le « Je » :  le narrateur et le personnage ne font qu’un. Aucune réflexion n’est alors possible : si le « Je » ne réfléchit pas, le narrateur ne peut pas non plus le faire puisque les deux entités n’en forment qu’une seule en réalité. Guerre propose un schéma identique, avec un « Je » au centre du roman. Le personnage et le narrateur ne sont qu’une seule et même personne. Par conséquent, Bardamu comme Ferdinand s’arrêtent au constat de l’événement, sans élaborer de réflexion particulière sur les événements qu’ils vivent.

Pour exemple, lorsque Bardamu rencontre une famille meurtrie par les actes barbares des Allemands, près de Noirceur-Sur-La-Lys, il raconte froidement les faits, sans s’y appesantir.  Bien que cette famille ait perdu un fils cadet puis ait été dépouillée par l’armée allemande, Bardamu ne montre aucune compassion lorsqu’ils lui demandent de payer sa bouteille de vin :

« J’étais pas content d’avoir donné mes cent sous. Il y avait ces cent sous entre nous. Ça suffit pour haïr, cent sous, et désirer qu’ils en crèvent tous. Pas d’amour à perdre dans ce monde, tant qu’il y aura cent sous. »[116]

Bardamu se cantonne donc au visible, tout comme Ferdinand lorsqu’il apprend au lecteur la mort de Cascade. Il va simplement expliquer que « quatre jours après il a été fusillé au cantonnement près de Péronne où son régiment le 418e d’infanterie prenait quatorze jours de repos. »[117] Dans le même ordre d’idées, au chapitre suivant, Ferdinand s’énerve contre les blessés qui débloquent « à propos de leurs bravoures »[118] , sans s’interroger sur les raisons de ce comportement. Il semble par ailleurs ennuyé car « Cascade était parti »[119] et qu’il n’avait personne pour le soutenir s’il « vacillait dans un vertige »[120] : les soucis de Bardamu concernent sa seule personne, et ce sont des soucis concrets.  Bien qu’il pense que « c’était pas très moral d’aller retrouver Angèle »[121], il ne se prive pas d’entretenir des relations intimes avec cette dernière, sans éprouver de réels remords.

Il nous faut toutefois avoir l’honnêteté de nous interroger : avons-nous le droit de juger Bardamu, Ferdinand, ou Céline ? Comment pourrions-nous en effet comprendre les traumatismes de la guerre alors que nous ne l’avons pas vécue ?

Peut-être qu’un soldat qui a souffert dans sa chair et dans son esprit des horreurs du champ de bataille est forcément déconnecté du monde et des sentiments. Peut-être que l’égoïsme de Bardamu et Ferdinand est tout simplement une réaction normale. Peut-être que la guerre les a anesthésiés et que Céline a voulu nous le dire.

6        Conclusion

« Les mots d’une phrase ou d’un vers sont les traces, les cicatrices des sentiments de l’auteur. »[122]

Lire Guerre c’est mieux comprendre Louis Ferdinand Destouches et son expérience de la guerre. C’est mettre à nu l’homme qui se cache derrière l’écrivain Céline.

Ce manuscrit dévoile toutes les traces du traumatisme de la Grande Guerre que le romancier a décidé de ne pas montrer avec Voyage au bout de la nuit. Avec ce nouveau texte, il dévoile à ses lecteurs les épisodes douloureux de sa blessure et de sa convalescence. Toutefois, avant de pouvoir lire, comprendre et analyser justement ce texte, nous avons dû comprendre l’homme derrière cette œuvre.

Avec le premier point de notre travail, nous avons donc pu décoder Louis Ferdinand Destouches, comprendre d’où il venait, mieux saisir ses maux, ses errements et son époque où la société était marquée par la propagande et la censure. Ce jeune homme est donc un enfant qui a eu le privilège de recevoir une bonne éducation, mais qui s’engage militairement à cause de la propagande. Louis Ferdinand Destouches est aussi un héros de guerre et obtient une médaille militaire grâce à sa bravoure. C’est aussi un médecin et un écrivain qui va choquer la scène littéraire avec Voyage au bout de la nuit, mais aussi avec ses pamphlets antisémites. Il deviendra alors un homme exilé et condamné à la solitude car la France ne pourra jamais lui pardonner.

Par la suite, nous avons montré que le parcours du manuscrit de Guerre est certainement rocambolesque. Cette œuvre renferme l’histoire de la famille Morandat, et celle du journaliste Jean-Pierre Thibaudat. Un résistant, Yvan Morandat, loge dans l’appartement de la rue Girardon et découvre les textes oubliés de Céline. Des décennies plus tard, sa fille découvre dans son grenier les manuscrits de l’écrivaine et les confie à Jean-Pierre Thibaudat. Il les conserve jusqu’à la mort de Lucette Destouches. Ces nouveaux textes sont alors révélés au grand public en août 2021 et permet donc d’éclairer les lecteurs et les chercheurs sur la personnalité et l’œuvre de Céline.

Guerre a été écrit 20 ans après que Louis Ferdinand Destouches revienne traumatisé de la Grande Guerre. Pourtant, après tout ce temps, Céline ne parvient toujours pas à oublier toutes les atrocités dont il a été témoin. Nous nous sommes alors demandé si nous pouvions parler ici d’une dénonciation de la guerre. La narration reste vague dans la présentation du personnage, dans la temporalité et dans la localisation afin de donner toute la place à la guerre et à ses horreurs. Ferdinand, notre soldat, est étourdi par la douleur et le lecteur est étourdi par un flux d’informations dont il peine à décoder immédiatement le sens. De plus, la réalité du blessé est décrite à l’aide d’un ton incisif et d’un langage populaire, ce qui donne au texte une tonalité orale et accentue la proximité entre le lecteur et Ferdinand. Le bruit, composante omniprésente avec Guerre, montre que Céline décrit avec ce roman un véritable enfer qui ne peut pas être oublier. Ensuite, l’écrivain dénonce le second effet pervers de cette guerre, celui du fossé qui s’installe entre ceux qui l’ont vécu et ceux qui ne font qu’en parler.

Antoine Gallimard avance le fait que dans Guerre le tragique et le comique coexiste. En effet, bien que le thème soit dramatique, Céline introduit de l’humour au sein de son texte. Il écrit alors une langue étrangère mal prononcée, de nombreuses répétitions et d’onomatopées qui donnent un caractère enfantin au roman. Comme l’affirme Ionesco, le rire désacralise le malheur et permet de s’éloigner d’une réalité insupportable.

Pour le dernier point de notre travail, nous nous sommes demandé s’il existait des similitudes et des différences entre la première œuvre de Céline, Voyage au bout de la nuit, et Guerre.

Ces deux ouvrages ont été rédigés à peu près à la même période, sur un thème commun et dont le nouveau manuscrit répond à une ellipse du premier. Nous pouvons relever dans les deux livres une plume nouvelle et audacieuse pour l’époque, une écriture qui brise toutes les frontières lexicales et syntaxiques. Cependant, le Voyage a été davantage travaillé que Guerre. En effet, ce nouveau roman semble être un premier jet moins abouti mais plus intense. L’expérience de la blessure et de la convalescence est racontée sans filtre. En effet, le « je » est omniprésent, le vocabulaire est parfois argotique et les constructions sont orales, notamment avec une surabondance de l’utilisation du subordonnant « que ». De la même façon, si le premier roman de Céline a souvent recours à un vocabulaire, il ne relève pas de l’obscène, à l’inverse de Guerre. En effet, les mots crus font écho au caractère cru et obscène de cette Grande Guerre.

Finalement, nous nous sommes intéressés à un point de ressemblance essentielle, celui du roman phénoménologique. Le personnage et le narrateur, car ils ne font qu’un, s’arrête au constat de l’événement, sans élaborer une réflexion à ce qu’ils vivent. Céline a peut-être voulu montrer que l’horreur et l’absurdité de la guerre les a anesthésiés, les a privés de la première caractéristique de l’Homme, la réflexion.

7        Bibliographie

Sources

Céline, L.-F. (2022). Guerre. Paris : Gallimard.

Céline, L.-F. (1932). Voyage au bout de la nuit. Paris : Gallimard.

Ouvrages

Astraud, L.-P. (2014). Louis-Ferdinand Céline à 20 ans : Au front en 1914 : le début du voyage. Vauvert : Au diable vauvert.

Del Lungo, A. (2003). L’Incipit romanesque. Paris : Éditions du Seuil.

Combessie-Savy, C. (1993). Voyage au bout de la nuit : Céline. Paris : Éditions Nathan.

Chevalier, G. (1930). La Peur. Paris : Le Dilettante.

Gibault, G. (2022). Céline. Paris : Bouquins.

Lalande, B. (1976). Profil d’une œuvre : Céline : Voyage au bout de la nuit. Paris : Hatier.

Vitoux, F. (2005). La vie de Céline. Paris : Gallimard.

Ressources en ligne

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Vidéos en ligne

Europe 1. (2021, 26 février). Au cœur de l’histoire : Louis Ferdinand Céline [Vidéo]. Youtube. https://www.youtube.com/watch?v=F9lF0tyHtQU

France Culture (2022, 11 mai). Littérature : “Guerre“ de Louis-Ferdinand Céline, le chaînon manquant. [Vidéo]. Youtube.https://www.youtube.com/watch?v=3zAzhVIDs7w

Libraire Mollat (2022, 11 juin). Alban Cerisier – “Guerre“ de Louis-Ferdinand Céline [Vidéo]. Youtube. https://youtu.be/pZ32RG8ND3c

Images

Agence de presse Meurisse. (1932). M. F. Céline, prix Théophraste Renaudot (1/2 corps). [Photographie de presse]. Bibliothèque nationale de France. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9046059w#

Faivre, A. (1915). Pour la France versez votre or. L’Or Combat Pour La Victoire. [Illustration]. Musée de l’Armée. https://www.musee-armee.fr/fileadmin/user_upload/Documents/Support-Visite-Fiches-Objets/Fiches-1914-1918/MA_fiche-objet-affiche-france-or.pdf


[1] Céline, L.-F. (1932). Voyage au bout de la nuit. Paris : Gallimard. p.18.

[2] Chevalier, G. (1930). La Peur. Paris : Le Dilettante. pp.102-103.

[3] Cette partie se base essentiellement sur : Vitoux, F. (2005). La vie de Céline. Paris : Gallimard. et Gibault, G. (2022). Céline. Paris : Bouquins.

[4] Vitoux, F. (2005). Op. Cit., p.55.

[5] Ibid., p.55.

[6]Astraud, L.-P. (2014). Louis-Ferdinand Céline à 20 ans : Au front en 1914 : le début du voyage. Vauvert : Au diable vauvert. p.56.

[7] Ibid., p.57.

[8] Goffi, E. (2013). « Expression libre ». Paris : Inflexions, 22, pp. 119-127. https://doi.org/10.3917/infle.022.0119

[9] Astraud, L.-P. (2014). Op. Cit., p.59.

[10] Ibid., p.73.

[11] Vitoux, F. (2005). Op. Cit., p.126.

[12] Ibid., p.72.

[13] Ibid., p.77.

[14] Céline, L.-F. (2022). Guerre. Paris : Gallimard. p.26.

[15] Céline, L.-F. (1932).Op. Cit., p.21.

[16] Lahaie, O. (2018). « Dire pour nuire. Été 1914, les prémices de la propagande de guerre ». Inflexions, 39, pp.153-163. https://doi.org/10.3917/infle.039.0153

[17] Ibid.

[18] Ibid.

[19] Ibid.

[20] Ibid.

[21] Ibid.

[22] Géré, F. (2019). « Les opérations psychologiques durant la guerre de 1914-1918 ». Revue Défense Nationale, 816, pp. 17-22. https://doi.org/10.3917/rdna.816.0017

[23]Lahaie, O. (2018). Op. Cit., pp.153-163. https://doi.org/10.3917/infle.039.0153

[24] Ibid.

[25] Gibault, F. (2022). Op. Cit., p.195.

[26] Ibid., p.196.

[27] Ibid.

[28] Ibid.

[29] Ibid., p.245.

[30] Dupuis, J. (2022). 20. Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline (1932). Dans : Sébastien Le Fol éd., La Fabrique du chef d’œuvre : Comment naissent les classiques, pp. 352-367. Paris : Perrin. https://doi.org/10.3917/perri.colle.2022.01.0352

[31] Ibid., pp. 352-367.

[32] Vitoux, F. (2005). Op. Cit., p.494.

[33] Ibid., p.524.

[34] Cette partie se base essentiellement sur : Europe 1. (2021, 26 février). Au cœur de l’histoire : Louis Ferdinand Céline [Vidéo]. Youtube. https://www.youtube.com/watch?v=F9lF0tyHtQU

[35] Duraffour, A. (2013). Céline, une exception sinistre. Revue d’Histoire de la Shoah, 198, 285-310. https://doi.org/10.3917/rhsho.198.0285

[36] Gibault, F. (2022). Op. Cit., p.742.

[37] Vitoux, F. (2005). Op. Cit., p.682.

[38] Dupuis, J. (2021, 4 août). Des milliers de feuillets inédits : les trésors retrouvés de Louis-Ferdinand Céline. Le Monde. https://www.lemonde.fr/livres/article/2021/08/04/les-tresors-retrouves-de-louis-ferdinand-celine_6090546_3260.html

[39] Ibid.

[40] Thibaudat, Jean-Pierre. (2022, 4 août). Céline, le trésor retrouvé – Oscar Rosembly (4/9). Mediapart. https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-thibaudat/blog/040822/celine-le-tresor-retrouve-oscar-rosembly-49

[41] Dupuis, J. (2021, 4 août). Op. Cit. Le Monde. https://www.lemonde.fr/livres/article/2021/08/04/les-tresors-retrouves-de-louis-ferdinand-celine_6090546_3260.html

[42] Libraire Mollat (2022, 11 juin). Alban Cerisier – “Guerre“ de Louis-Ferdinand Céline [Vidéo]. Youtube. https://youtu.be/pZ32RG8ND3c

[43] Thibaudat, Jean-Pierre. (2022, 10 août). Céline, le trésor retrouvé – La piste Morandat (5/9). Mediapart. https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-thibaudat/blog/100822/celine-le-tresor-retrouve-la-piste-morandat-59

[44] Ibid.

[45] Ibid.

[46] Ibid.

[47] Ibid.

[48] Thibaudat, Jean-Pierre. (2022, 10 août). Céline, le trésor retrouvé – L’inventaire (2/9). Mediapart. https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-thibaudat/blog/030822/celine-le-tresor-retrouve-l-inventaire-29

[49] Godard, H. (2018, 4 janvier). Pamphlets de Céline : une publication qui assainirait la situation. Le Monde. https://www.lemonde.fr/livres/article/2018/01/04/pamphlets-de-celine-une-publication-qui-assainirait-la-situation_5237386_3260.html#xtor=AL-32280270-%5Bdefault%5D-%5Bios%5D

[50] Le Monde avec AFP. (2018, 11 janvier). Gallimard suspend son projet de réédition des pamphlets antisémites de Céline. https://www.lemonde.fr/livres/article/2018/01/11/gallimard-suspend-son-projet-de-reedition-des-pamphlets-antisemites-de-celine_5240448_3260.html#xtor=AL-32280270-%5Bdefault%5D-%5Bios%5D

[51] France Culture (2022, 11 mai). Littérature : “Guerre“ de Louis-Ferdinand Céline, le chaînon manquant. [Vidéo]. Youtube.https://www.youtube.com/watch?v=3zAzhVIDs7w

[52] Libraire Mollat (2022, 11 juin). Op. Cit., [Vidéo]. Youtube. https://youtu.be/pZ32RG8ND3c

[53] Ridet, P. (2019, 27 septembre). Faut-il publier les fonds de tiroir des écrivains ? Le Monde. https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2019/09/27/faut-il-publier-les-fonds-de-tiroir-des-ecrivains_6013331_4500055.html#xtor=AL-32280270-%5Bdefault%5D-%5Bios%5D

[54] Ibid.

[55] Ibid.

[56] Kaprièlian, N. (2019, 8 octobre). Nouvelles inédites de Proust : à la recherche de « La Recherche ». Les Inrockuptibles. https://www.lesinrocks.com/livres/le-mysterieux-correspondant-genese-de-proust-184090-08-10-2019/

[57] Dupuis, J. (2022, 29 avril). «Guerre», roman inédit de Céline et nouveau chef-d’œuvre de l’écrivain. Le Monde. https://www.lemonde.fr/livres/article/2022/04/29/guerre-roman-inedit-de-celine-et-nouveau-chef-d-uvre-de-l-ecrivain_6124210_3260.html

[58] RTS avec AFP. (2022, 5 mai). Avec la publication de l’inédit “Guerre“, Céline redevient un écrivain. RTS. https://www.rts.ch/info/culture/livres/13068790-avec-la-publication-de-linedit-guerre-celine-redevient-un-ecrivain.html

[59] France Culture (2022, 11 mai). Op. Cit., [Vidéo]. Youtube.https://www.youtube.com/watch?v=3zAzhVIDs7w

[60] Ibid.

[61] Libraire Mollat (2022, 11 juin). Op. Cit., [Vidéo]. Youtube. https://youtu.be/pZ32RG8ND3c

[62] Ibid.

[63] Céline, L.-F. (2022). Op. Cit., p.25-26.

[64] Del Lungo, A. (2003). L’Incipit romanesque. Paris : Éditions du Seuil. p.176.

[65] Ibid., p.178.

[66] Ibid., pp. 180-181.

[67] Ibid., p.165.

[68] Ibid,

[69] Ibid.

[70] Ibid., p.166.

[71] Ibid., p.169.

[72] Ibid., p.143.

[73] Céline, L.-F. (2022). Op. Cit., p.52-53.

[74] Céline, L.-F. (2022). Op. Cit., p.172.

[75] Ibid., p.31-32.

[76] Ibid., p.35-36.

[77] Céline, L.-F. (1932). Op. Cit., p.64.

[78] France Culture (2022, 11 mai). Op. Cit., [Vidéo]. Youtube. https://www.youtube.com/watch?v=3zAzhVIDs7w

[79] Ibid.

[80] Ibid.

[81] Céline, L.-F. (1932). Op. Cit., p.62.

[82] Combessie-Savy, C. (1993). Voyage au bout de la nuit : Céline. Paris : Éditions Nathan. p.15

[83] Ibid.

[84] Gibault, F. (2022). Op. Cit., p.243.

[85] Combessie-Savy, C. (1993). Op. Cit., p.110.

[86] Ibid.

[87] Ibid.

[88] Ibid.

[89] Ibid.

[90] Ibid.

[91] Ibid., p.111.

[92] Lalande, B. (1976). Profil d’une œuvre : Voyage au bout de la nuit. Paris : Hatier. p.66.

[93] Céline, L.-F. (2022). Op. Cit., p.27.

[94] Combessie-Savy, C. (1993). Op. Cit., p.112.

[95] Céline, L.-F. (1932). Op. Cit., p.37.

[96] Lalande, B. (1976). Op. Cit.,. p.64.

[97] Céline, L.-F. (2022). Op. Cit., p.35.

[98] Ibid., p.63.

[99] Ibid., p.117.

[100] Combessie-Savy, C. (1993). Op. Cit., p.112.

[101] Ibid.

[102] Céline, L.-F. (1932). Op. Cit., p.27.

[103] Ibid., p.43.

[104] Ibid., p.50.

[105] Céline, L.-F. (1932). Op. Cit., p.73.

[106] Ibid., p.51.

[107] Céline, L.-F. (2022). Op. Cit., p.116.

[108] Ibid.

[109] Ibid., p.71.

[110] Ibid., p.70.

[111] Ibid., p.63.

[112] Ibid., p.71.

[113] Céline, L.-F. (2022). Op. Cit., p.46.

[114] Ibid., p.66.

[115] Lalande, B. (1976). Op. Cit., p.37.

[116] Céline, L.-F. (1932). Op. Cit., p.53.

[117] Céline, L.-F. (2022). Op. Cit., p.129.

[118] Ibid., p.131.

[119] Ibid., p.132.

[120] Ibid.

[121] Ibid., p.135.

[122] Fabrice Luchini.

Une pensée sur “La guerre et le voyage de Céline

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