Collège de l’Abbaye de Saint-Maurice. La Cancel Culture à la mode valaisanne

On savait Le Nouvelliste agent de communication de l’Etat du Valais, de la Présidence du Gouvernement, du Grand-Conseil et des autres institutions cantonales. Mais on ignorait que le quotidien préféré des Valaisans voulait suppléer la Revue Valaisanne de Jurisprudence et se faire l’apôtre de la cancel culture sémantique de chez nous.

L’édition du jour de ce journal inclut ce titre et cette accroche :

Collège de Saint-Maurice: non, le changement de nom n’est pas illégal

Les opposants au changement de nom du collège de Saint-Maurice jugent la démarche illégale. Un acharnement que peine à comprendre Christophe Darbellay.

Le titre n’est pas une interrogation, mais l’affirmation d’une certitude. L’accroche est un renversement de la réalité.

De quoi parle-t-on ? Du fait que le Conseil d’Etat, en fait le Chef du département chargé des établissements scolaires, a décidé, appuyé par le Grand Conseil, de changer le nom du collège situé sur commune de Saint-Maurice. La nomination légale est « Collège de l’Abbaye de Saint-Maurice », devenue par la grâce législative empressée, le « Collège de St-Maurice ». Jean Romain, le professeur et philosophe, ancien étudiant dans ce lieu de formation, a rendu attentif sur les réseaux sociaux au fait que la Loi sur l’instruction publique indiquait dans la terminologie utilisée le « Collège de l’Abbaye de Saint-Maurice » et non pas le « Collège de Saint-Maurice ». Par conséquent, il interrogeait ce faisant la légalité du changement de nom. Le NF, ne s’appuyant pas sur un avis de droit autorisé mais sur le propos du président du gouvernement, titre fermement, le changement de nom est légal. A l’appui de cette assertion ferme, ce propos présidentiel : «Ce changement proposé par une task force a été validé par le Conseil d’Etat, accepté par l’Abbaye elle-même et finalement appuyée par le Grand Conseil par 103 contre 22 voix. S’y opposer est incompréhensible.»

Je n’ai pas connaissance que la « task force » ait interrogé la loi; je n’ai pas connaissance du fait que le Conseil d’Etat et l’Abbaye puissent modifier une loi cantonale; je n’ai pas connaissance du fait que le Grand Conseil ait voulu modifier la Loi cantonale sur l’instruction publique lors de son vote. J’ai en revanche connaissance qu’une « task force » puisse errer juridiquement; j’ai connaissance du fait que ces errements ont souvent leur source dans les liens trop étroits entre des membres d’une task force et le gouvernement; j’ai connaissance de défaillances juridiques absolues du Conseil d’Etat; j’ai enfin connaissance des qualités politiques et non juridiques des députés. Un seul exemple suffira pour convaincre mes lecteurs : le Verbiergate !

Devenant sans diplômes de fins juristes, le NF et Christophe Darbellay assènent le dernier argument massue :

Quant à la légalité du changement, elle ne fait aucun doute. «La loi de 1962 consacre des lieux, pas des noms. Cette même loi évoque le collège de la Planta, qui sera évidemment rebaptisé lorsqu’il sera délocalisé sur le cour Roger Bonvin, sans que cela ne soit une entorse au cadre légal.» 

La révision de la loi sur l’instruction publique, justement en cours de réalisation, procédera «au toilettage de ces changements», conclut Christophe Darbellay.

Une loi est faite de signifiants, pas de localisation. Chaque mot peut être décisif pour la compréhension d’un texte. Une simple virgule peut être décisive. Ainsi, dans l’Affaire BCV – Dorsaz une seule et simple lettre, de langue allemande, un « der » en lieu et place d’un « die » a ramené à la raison l’ensemble des institutions valaisannes (Conseil d’Etat, Grand Conseil, task force, ministère public, tribunal cantonal) en acquittant l’ancien contrôleur permanent de la BCVs condamné aussi sur la place publique par une presse adossé au pouvoir et par une commission parlementaire dont les membres les plus importants furent par la suite promus pour services rendus à la République.

La mention « Collège de l’Abbaye de Saint-Maurice » ne peut consacrer simplement un lieu au simple motif qu’une abbaye est un bâtiment abritant une communauté. La loi de 1962, si elle avait voulu définir uniquement un lieu communal, aurait exclu le terme « Abbaye ». Si le législateur a choisi à l’époque une option différente, la raison est certainement plus à chercher dans l’esprit dispensé dans ce lieu de formation que dans le désir actuel du président du gouvernement. Des exégèses iront vérifier la chose dans les travaux législatifs préparatoires.

Et pourquoi l’accroche est aussi un renversement de la réalité. Parce que si acharnement il y eut, en sus de l’ignorance acharnée de l’Eglise et de l’ensemble de la société sur le sujet des abus sexuels commis sur des adolescents, – une pensée émue à Narcisse Praz -, dans la séquence précise, il portait davantage sur un désir d’écarter un chanoine ne portant que peu le jean de la direction d’un établissement scolaire dont il assumait la responsabilité avec coeur et entrain. Le changement de nom de l’établissement ne fut qu’un ersatz destiné à symboliser l’échec d’une résiliation imméritée et à rendre moins inutiles les travaux de la commission ad hoc.

Un esprit mécréant comme le mien n’est pas favorable à l’annulation de l’histoire, fut-elle juridique. Le Valais ne l’est pas plus, lui qui, dans le cadre de la Constituante, a voulu privilégier le Nom du Dieu Tout Puissant qui est mentionné dans la Constitution actuelle. Alors, si l’on voulait, en garant de la légalité, interpréter la volonté du législateur d’un texte de loi, on devrait peut-être tenir compte de la lettre de la constitution actuelle. Christophe Darbellay considère que tout cela n’est que du « toilettage ». Franchement dit, question nettoyage, je lui suggère vraiment et en toute amitié de laver le déshonneur d’un Ours en terre bagnarde et d’utiliser le karcher pour participer au rétablissement de l’honneur d’un homme dont le contrat de travail a été résilié par des actes pénalement répréhensibles. Je ne crois pas qu’il fut sage de « cancelliser » sur le plan terminologique une Abbaye qui dans ses pierres ne s’écroulera pas de sitôt.

Parole de mécréant.

Post Scriptum I :

C’est assez marrant comme l’impulsivité [excès de précipitation] peut parfois être cause de gouvernance [Abbaye de St-Maurice] et, dans d’autres situations [Verbiergate], la lenteur [manque d’empressement] devient source de criante injustice !

Post Scriptum II :

On ne peut pas en même temps dire qu’on va devoir corriger la Loi sur l’instruction publique et affirmer simultanément que c’est légal. Si c’est légal pourquoi la corriger en la toilettant ?

Stéphane Riand

Licencié en sciences commerciales et industrielles, avocat, notaire, rédacteur en chef de L'1Dex (1dex.ch).

Une pensée sur “Collège de l’Abbaye de Saint-Maurice. La Cancel Culture à la mode valaisanne

  • 3 avril 2024 à 16 h 26 min
    Permalink

    Qui est le propriétaire du nouvelliste ?

    Et que se passe-t-il en europe ?

    Même la soupe de Carême ne doit plus être présentée comme telle, mais renommée !

    L’ESG et le wokisme, même combat !

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