Oyez, oyez, bonnes gens, courez, courez voir la troupe des Creusets qui présente La Bonne Âme du Sé-Tchouan ce vendredi et ce samedi à 20h00 !

Oyez, oyez, bonnes gens, courez, courez voir la troupe des Creusets qui présente La Bonne Âme du Sé-Tchouan ce vendredi et ce samedi à 20h00 !

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Ecoutez-les vous emmener dans un ailleurs que vous ne connaissez plus. Dans un récit quelque peu alambiqué, oui, peut-être, une histoire triste et même parfois cynique parce que plus l’on vous regarde et moins on croit en Dieu, c’est vous dire. Vous dire le chemin d’une prostituée qui aime les bonnes actions, le cheminement d’une jeune fille naïve que l’on surnomme l’ange des faubourgs et à qui il ne reste rien parce qu’elle donne tout, l’extraordinaire réussite d’une petite commerçante que l’on pille et qui se décide alors à être Autre, à plonger allègrement dans le capitalisme comme Obélix en son temps dans la marmite de la potion magique. Elle est enceinte, vous comprenez, elle n’a pas vraiment le choix, c’est dans les pleurs et le plus profond des dénuements qu’elle réalise que les bonnes actions, ça veut dire la ruine.

Et c’est autour de cette question centrale, faut-il changer le monde, que s’articule tout le travail de Stéphane Albelda. En effet, si la pièce de Berthold Brecht a été écrite entre 1938 et 1940, le metteur en scène, lui, nous plonge dans un univers néo-punk qui rejette toutes les valeurs bourgeoises de cette époque, souvenez-vous du célèbre No Future des Sex Pistols dans leur cultissime God Save the Queen, et vous comprendrez. C’est une vraie contre-lecture qu’il nous propose, une contre-culture marginale qu’il met en avant, mi rock mi folk. Madonna aurait adoré, elle qui à la fin des années quatre-vingts a horrifié les bien-pensants de tout acabit en flirtant avec un prêtre et en arborant des costumes de scène plus provocants les uns que les autres. Et bien, bonnes gens, que voilà de bien dignes héritiers, vous ne saurez où regarder, croyez-moi, il y a là des vêtements multicolores, des bas bleus, des bas roses, des bas rouges, des souliers verts, des bérets gris mais aussi des écharpes rayées ou des cravates nouées comme un foulard, des bretelles, des turbans dans les cheveux, des casquettes mais aussi des pantalons à carreaux, des jupes à pois, des tiares en strass, des bijoux en toc, des bagues à tous les doigts, des ceintures avec des chaînes et des croix dorées. Le saut dans le temps est vertigineux, chapeau bas à la costumière, bravo l’artiste !

Et pour sauter, autant le faire en grand et avec le cœur bien accroché à la lune, n’est-ce pas, alors Stéphane Albelda n’hésite pas, il explose la scène, renvoie le plateau dans la salle, les comédiens sortent du champ, il n’y a plus de cour ni de jardin mais des inscriptions voyantes au sol, on entre dans les coulisses, on assiste à tous les changements, il y a du bruit et de la lumière, un piano, deux micros, des projections, des ombres chinoises (évidemment…), des gens qui chantent, des gens qui frappent du pied, des gens qui dansent. Et parfois le bruit de la pluie, quand le ciel s’effondre.

Mais ce n’est pas tout, comment faire le bien quand on est pauvre s’interroge la jeune fille, et bien la scénographie répond à cette question, on invente, on réinvente, les portes s’ouvrent sur le rien, les cadres se détachent dans le vide et l’arbre de vie est en plastique recyclé. La modernité refuse ici le prisme des préjugés, rien n’est stable, les conventions sont renvoyées dans les plus sombres oubliettes du passé, tout se déplace, se démonte, se remplace. C’est comme le texte, mâtiné désormais de vocables bien de notre siècle, on twinte franchement, on s’apostrophe gaiement, chiale pas, ça abîme le teint.

Chiale pas, non, peut-être pas, quoique, pourquoi pas, le talent ça fait parfois pleurer dans les chaumières bien éclairées. Quelle sorte d’hommes êtes-vous, demande l’aviateur, on ne sait pas, pas vraiment, pas encore, on ne le saura sans doute jamais, mais eux se cherchent, oui, et ils se trouvent. Sachez-le, après le bruit, les chants, les notes mélancoliques ou endiablées, les danses, les couleurs, et la pluie, la pluie qui tombe, il y a encore le geste. Et au théâtre, le verbe n’est rien sans le geste. Croyez-moi, il faut oser se grandir, se contorsionner, se plier, se jeter au sol, il faut oser devenir Autre, comme la jeune fille, être l’Autre, l’accompagner dans son altérité jusqu’à se cogner contre les nuages. Il y a aussi la voix, la voix qui tonne ou qui bougonne, celle qui hésite, celle qui affirme ou interroge, la voix qui a demandé tout un voyage au plus profond de soi, là-bas, tout au fond, très loin de nous et si près d’eux.

Et eux sont nos lendemains qui chantent, applaudissons-la, cette jeunesse qui s’enivre de théâtre parce qu’un homme les guide avec une grande bienveillance sur les sentiers parfois ardus de la création, une jeunesse qui consacre des heures, des jours, des semaines à devenir Autre pour non pas raconter mais vivre une histoire. Je est un Autre, affirmait avec insolence un jeune homme de la fin du XIXe siècle, un surdoué précoce qui a tout écrit avant ses vingt ans et qui le premier a su mettre le doigt sur la frontière ténue entre altérité et identité. Et bien, félicitez cette toute jeune troupe. Comme le grand César dans les temps anciens, elle a franchi le Rubicon. Et comme les Romains d’antan, elle se construit un empire, le plus beau des royaumes, celui qui abrite les arts vivants.

Courez, bonnes gens, courez au spectacle, encouragez vos enfants, applaudissez l’extraordinaire vagabond et le cousin nauséabond, applaudissez les déesses qui sifflent sur vous, applaudissez le pianiste ébouriffé, la chanteuse à la voix d’or, applaudissez les danseurs, les vieillards, la porteuse d’eau qui plante fièrement son regard dans le vôtre, et tous les autres, tous les autres.

Entrez, voyez, ils tournent en rond sur le plateau, ils déambulent et agitent leurs bras comme pour mieux se détacher du réel, le metteur en scène résume maintenant chaque acte par quelques mots-clefs, il y a des rires, des cris, des mouvements d’assouplissement, des injonctions, on donne, on donne, on n’attend rien, on donne, et puis un merde retentissant ponctue la fin de l’échauffement.

Asseyez-vous, oui, oui, ils ont bien de la chance de vivre cette aventure, oui, oui, on critique, on critique les profs, on critique l’école et ses dirigeants, mais quand même, on a tort, bien souvent, voyez ce qu’ils proposent, voyez ce qu’ils permettent, ce n’est pas rien, non, quand on y pense, oui, vous le saviez, d’anciens élèves ont intégré la Manufacture et puis d’autres ont fondé leur propre troupe de théâtre, comme PARHELIA (quatre consonnes et quatre voyelles pour dire ma fille, ma douce, ma tempête, ma fille et ses amies, Zélie, Flavie, on est en Valais, ne l’oubliez pas, le copinage y est une religion, qui peut m’interdire de me montrer aujourd’hui si fervente pratiquante ?). C’est grâce à Stéphane Albelda, tout cela, cette filiation qui se perpétue, ces jeunes qui ne cessent de réécrire la même histoire, ces destins qui se croisent et ne se perdent pas, les plus jeunes qui vont voir L’Heure bleue, les anciens qui admirent le tableau impressionniste de La Bonne Âme du Sé-Tchouan.

Revenons en Chine, prenez place, oui, ils n’attendent que vous : sans vous ils n’existent pas. C’est en chuchotant que je termine, j’y étais mercredi parce qu’aujourd’hui je suis en prière devant la tombe de Camus. Mercredi, en matinée, avec tous les jeunes, vos jeunes. Plus de trois cents élèves dans la salle, et pas un bruit pendant le spectacle. Un silence qui portait les comédiens parce que n’oubliez pas, n’oubliez jamais, ils tirent leur énergie de votre seule présence. Et puis, après le tomber de rideau, après les rappels et les applaudissements nourris, après le sourire de Stéphane, la remarque d’un escogriffe fort sympathique, n’empêche que ça m’impressionne toujours, le théâtre.

Moi aussi. Et vous ?

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