Michaël Perruchoud. Sa préférée

L’aimer si fort, Sa préférée.

Michaël Perruchoud, Sa préférée, Editions Âge d’Homme, 2017

Béatrice Riand, Si vite que courent les crocodiles, Editions, BSN Press, 2022

L’aimer si fort et ne savoir qu’écrire pour vous le dire. Lire et relire ces mots sans jamais prendre les multiples notes qui accompagnent d’ordinaire un travail sérieux d’analyse. Craindre de ne pas être à la hauteur. Et puis se perdre dans une écriture qui se livre à vous sans fioritures aucunes pour vous emmener jusqu’aux portes de la douleur.

Parce que, vous comprenez, on ne sait pas à quoi le comparer, ce texte qui ressemble à une longue prière. On ignore comment en parler sans le dénaturer, sans le mutiler, et on ne blesse pas des enfants qui crient dans le silence de la nuit.

C’est l’éternelle histoire des humbles, celle des anonymes aux poches percées par la misère. L’histoire d’une mère et de ses filles. La grande, la plus forte, sommée de survivre à toutes les épreuves. La petite, la plus fragile et la plus aimée. Celle que la mère abandonnera parce qu’il y a la faim et le froid, et puis la fièvre. La peur qu’elle en meure, cette petite au regard de lumière. Qu’elle s’en aille à jamais dans une éternité qui l’empêche de chanter. On ne chante plus depuis longtemps, là-bas, on ne sait où, dans les églises, on a perdu la musique en chemin.

C’est une histoire d’abandon, oui, l’histoire d’un amour immense qui refuse le renoncement. Une mère peut aimer si fort son enfant qu’elle l’emmène dans les beaux quartiers, là où ne suinte pas le malheur, pour que la petite puisse survivre à la maladie qui brûle ses poumons. En on a envie de pleurer, vous savez, envie de prendre dans ses bras cette femme qui ne se résigne jamais, et de lui offrir ce pardon qu’aucune de ses filles ne lui accordera. Parce que trop blessées, dans le souvenir comme dans l’oubli. La mère la cherchera toute sa vie, cette petite qui se dérobe sans le vouloir, la mère regrettera toutes ces années le souffle qui effleurait son cou, cette enfant qui n’a pas crié, qui n’a pas su supplier.

C’est l’histoire de trois femmes, unies par des abandons successifs. L’histoire d’un fantôme que rien n’efface, l’histoire d’un deuil qui refuse de mourir parce que la petite est toujours là, « juste derrière (leurs) paupières ».

Elles se retrouveront, oui, les notes ne se cachent pas toujours, même sur un champ de ruines.

« On peut juger de la bonté d’un livre à la vigueur des coups de poing qu’il vous a donnés et à la longueur de temps qu’on est ensuite à en revenir », avoue Flaubert dans une lettre à Louise Colet.

J’ai lu ce texte cet été, au bord de la plage. Je suis entrée dans ce livre comme on entre en religion, dans la profonde solitude d’un vieux cloître. Je n’entendais plus le cri perçant des mouettes, je ne voyais que la musique des mots. J’étais bercée par une douce mélopée, j’étais la mère, j’étais l’enfant. Les deux enfants.

C’est beau à pleurer, je vous le dis. C’est le livre que vous auriez aimé écrire. Le livre qui aurait dû remporter les plus grands prix et dont toute la presse du pays aurait dû parler. Un livre qui vous suivra, je crois, et que vous relirez avec le même émerveillement. Un livre que vous offrirez, un livre auquel vous repenserez parfois quand, dans la douce chaleur de votre foyer, vous regarderez vos filles se chamailler.

La grande. Et la petite.

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